Black./Womyn. : Interview de Tiona McClodden, la réalisatrice

Black./Womyn. : Interview de Tiona McClodden, la réalisatrice

Interview accordée le 23 Juillet 2010 au site blackgaygossip.com

Nous avons rencontré la réalisatrice Tiona McClodden, l’écrivain et la directrice du documentaire très acclamé Black./Womyn. : Conversations with Lesbians of African Descent. Ce film poignant a fait le tour des festivals de films à la fois nationaux et internationaux, recevant plusieurs récompenses, et est récemment sorti en DVD. Après avoir vu ce film pour la première fois, j’ai trouvé que toutes les femmes de descendance Africaine s’identifiant en tant que lesbienne/homosexuelle, qu’elles soient dans le placard ou sorties du placard depuis une semaine, un an ou dix ans, devraient le voir. En fait, les lesbiennes de toutes les origines pourraient tirer quelque chose de ce film. Les histoires partagées par les différents groupes de lesbiennes ont été à la fois revendicatrices et encourageantes. Dans notre interview, Tiona nous a fait part de son inspiration pour le film, de son propre coming-out, des détails de son dernier projet Baby Makes Me avec Staceyann Chin, ainsi que de ses espoirs et désirs pour l’avancée de la communauté lesbienne noire.

S’il-vous-plaît, présentez-vous à nos lecteurs ?

Je m’appelle Tiona McClodden, je suis une réalisatrice indépendante et une actrice qui habite à Philadelphie, PA.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir réalisatrice ?

Avoir lu des livres étant enfant. Je n’étais pas autorisée à regarder beaucoup de films mais j’étais avant tout encouragée à lire. Avec la lecture j’ai développé un sens de l’imagination personnalisé. Avec un livre c’était ce que tu imaginais, et j’aimais cette sensation. Donc, j’ai décidé très jeune que je voulais d’une certaine façon être capable de visualiser mes pensées.

Votre premier documentaire s’intitule Black./Womyn. : Conversations with Lesbians of African Descent. Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être une « womyn » ?

Je pense que le terme « womyn » peut être appliqué à différents mouvements et archétypes. Il est beaucoup utilisé dans les mouvements féminins en général, spécialement dans le secteur féministe. Dans mon film en utilisant le mot « womyn » j’ai voulu mettre le mot en relation avec la communauté lesbienne noire et jouer avec la phonétique. Le mot « womyn » sans le « e » de « women » sonne exactement de la même façon, mais c’est seulement quand vous voyez la vraie écriture du mot que vous voyez la différence. Donc cette idée vient du fait qu’en tant que lesbiennes nous sommes encore des femmes mais sans le désir d’hommes. J’ai aussi joué avec l’idée que le « y » de « womyn » est en quelque sorte une « lettre visuelle ». Vous la voyez quand vous la lisez, mais quand vous l’entendez vous ne pouvez pas faire la différence. J’ai aimé demander une reconnaissance dans cette population de femmes, parce que je me suis souvent sentie comme une « autre » dans la communauté. C’est frustrant, donc j’ai essayé remettre ce sentiment dans le titre en quelque sorte.

Quelle a été votre inspiration pour ce film ?

Principalement mes propres expériences. J’ai grandi dans un petit village et j’ai eu des périodes plutôt marquantes pendant mes jeunes années, dûes au fait que j’étais lesbienne. J’ai eu des amis qui, à cause de leur sexualité vis-à-vis d’amis, de la famille ou même d’étrangers, ont été rejetés de leur famille et ont même été jusqu’à se faire du mal. À la base je voulais faire quelque chose qui aurait bénéficié à mon moi plus jeune dans un sens. Je pense que quelque part avec les films/médias vous avez la chance de transporter et d’immortaliser les voix. Avec « Black./Womyn » je voulais présenter un film transparent qui aurait juste fait ça – amener une partie de la communauté lesbienne noire dans des endroits où nous n’avions pas la place de partager nous-même nos propres expériences que ce soit au cinéma ou dans le foyer de tout un chacun.

Votre film s’ouvre sur ces différents groupes de femmes qui partagent leur histoire de coming-out. Est-ce que ça vous dérangerait de partager votre propre histoire ?

Pas du tout. J’ai fait mon coming-out au lycée à mes amis et ma famille. Je leur ai, comme je dis, porté le coup fatal lorsque j’ai fait asseoir ma mère et mon père et leur ai explicitement et clairement dit que je ne serais JAMAIS avec un homme et que c’était quelque chose de permanent. Je dis généralement aux gens que le coming-out est une chose qui se répète encore et toujours. Vous le faites tous les jours. Dans mon cas j’ai eu des frères et sœurs qui m’ont beaucoup soutenue. Mes parents ont eu plus de mal. Ils ont mis un moment pour vraiment comprendre que leur fille était lesbienne. Je me souviens que ma mère essayait toujours de me faire porter des robes et des sacs à main comme si ça allait changer les choses, même après lui avoir dit que j’étais lesbienne. C’est marrant maintenant mais c’était vraiment pénible sur le moment. On en rigole aujourd’hui.

Quels impacts les interviews de ces femmes ont-elles eu sur vous ? Avez-vous été surprise en apprenant des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas ?

Oui ça m’a beaucoup touchée, plus que ce à quoi je m’attendais en fait. Quand j’ai commencé le film j’avais vingt ans et j’avais des idées très arrêtées à propos des rôles et identités de la communauté lesbienne noire. Je ne pouvais pas les supporter. Mais après avoir interviewé autant de femmes qui s’identifiaient explicitement en tant que moyen de réconfort et de visibilité, j’ai appris à les apprécier et les honorer encore plus. Le projet m’a permis de grandir en voyant vraiment combien une communauté est forte. Cela m’a aidé pendant les années passées à tourner le film quand je voulais abandonner. J’ai aussi dû apprendre à plus parler de mes propres expériences, parce que je n’aurais jamais demandé quelque chose à des femmes que je ne me serais pas autorisé à me demander.

Si vous pouviez revenir en arrière et changer quelque chose avec le tournage du film, qu’est-ce que cela serait ?

Faire plus d’effort et travailler plus pour rassembler plus d’anciens. Je veux dire, j’ai vraiment essayé avec cette communauté mais beaucoup de femmes d’un certain âge n’étaient pas intéressées pour parler avec moi. Mais j’aurais dû faire plus d’efforts. La vraie et solide histoire de notre communauté et comment nous avons été appelées à être ce que nous sommes réside aussi dans les voix des anciens.

Qu’est-ce que vous espérez que les spectateurs tireront de leur visionnage ?

J’espère qu’ils auront surtout l’impression d’être des petites souris. Je définis le film comme une discussion avec une palette de femme qui se livrent au spectateur mais également qui ne l’intimident pas, pour ne pas l’empêcher de prendre part à la discussion. J’espère que le film lancera la discussion à l’extérieur, dans la réalité du spectateur. J’aime bien quand cela cause des discussions animées. Je veux aussi que cela soit un catalyseur pour les mouvements actuels et change le public de la communauté lesbienne noire.

Après avoir fait le tour des festivals, à la fois aux USA et à l’étranger, le film est maintenant disponible en DVD. Où les gens peuvent-ils l’acheter ?

Les gens peuvent acheter le DVD via le site web www.blackwomynfilm.com.

Vous travaillez actuellement sur un nouveau projet, Baby Makes Me, avec l’écrivain-activiste Staceyyann Chin, parlez-nous en.

Le film est un documentaire avec comme sujet principal la maternité en tant qu’idée, qu’action et que philosophie. Staceyyann est une de mes bonnes amies et pendant des années elle a voulu être mère. Dans le film elle explore essentiellement les notions de maternité puisque ça renvoie à sa propre expérience ainsi qu’à celle d’autres femmes. Nous avons interviewé une palette de femmes qui représentent la maternité à différentes étapes, du « Comment est-ce que je deviens enceinte sans partenaire ? » aux femmes qui ont recueilli des enfants de leur famille. Les femmes célibataires par choix sont une grosse partie du film, et plus spécifiquement les femmes de couleur, les femmes célibataires par choix en raison d’un aspect culturel et comment cela peut jouer un rôle dans certaines décisions et réactions pour cette communauté culturelle particulière. Nous avons récemment fait des interviews à Johannesbourg en Afrique du Sud et nous avons eu la chance d’interviewer et de discuter avec des femmes de leur vision et de leurs propres expériences de la maternité. En un mot, Staceyann porte un regard large sur la maternité et se prépare, en même temps, elle-même à devenir mère.

En tant que lesbienne noire, quels sont vos espoirs et désirs pour la communauté ?

Je veux principalement que l’on réalise le pouvoir que l’on a en tant que communauté et que l’on combatte beaucoup de mauvaises représentations de notre image dans les médias. Pendant les années de tournage j’ai entendu beaucoup de commentaires négatifs au sujet de la communauté lesbienne noire, certains vraiment blessants. Les gens m’ont dit que mon film ne fonctionnerait pas parce que nous n’avons rien à dire. Je pense que nous devons vraiment anticiper la manière de combattre ces idées, en présentant nos voix, de notre propre façon. J’aimerais que l’on soit capable d’avoir un pouvoir politique aussi fort que notre pouvoir dans les médias. En dernier lieu, j’aimerais que l’on prenne plus soin de nos artistes dans la communauté lesbienne noire parce qu’il peut y avoir quelques vrais changements à travers l’art, mais nous devons soutenir ce qu’ils ont à offrir en notre nom.

Interview Originale sur le Site Blackgaygossip

A propos de Lou Morin

Traductrice Anglais/Français

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