Les carpes remontent les fleuves avec courage et persévérance : Interview de Florence Mary

Les carpes remontent les fleuves avec courage et persévérance : Interview Florence Mary

Interview accordée à Isabelle B. Price le 25 Juin 2012 pour le site Univers-L.com

Pouvez-vous vous présenter et parler de votre parcours professionnel à nos lectrices ?

J’ai trente-cinq ans, j’habite à Nantes et je suis réalisatrice, cameraman et monteuse depuis dix ans (déjà !) avec une préférence pour le documentaire même si j’ai également des envies de réaliser des fictions ou animations.
Je travaille pour des sociétés de production et télévisions et ce documentaire est mon deuxième long docu. (59 minutes). Le premier Passée la peine avait pour thème la réinsertion des détenus.
J’ai un parcours universitaire : maitrise d’Histoire et d’Information-communication puis un Dess de réalisation documentaire.
Côté photographie, j’ai surtout appris en autodidacte.

Dans votre documentaire vous expliquez que la photographie vous a beaucoup aidée à l’adolescence. Est-ce que cela représente encore une échappatoire aujourd’hui ?

À l’adolescence où je suis devenue très solitaire, la photographie (avec la musique mais qui était un passe temps solitaire d’écoute de musique et non de pratique) a été le moyen par lequel je suis revenue vers les autres, mais très lentement et progressivement. D’ailleurs cela se ressent dans mes photos de l’époque : au début c’était surtout des photos sans personne dessus, paysage, ville… et petit à petit j’ai filmé les gens. Cela s’est passé sur plusieurs années.
La solitude a ses défauts, mais elle m’a aussi permise de me plonger à fond dans cette passion.
Depuis que je travaille en vidéo, j’ai laissé de côté la photographie, faute de temps. Ce documentaire a été l’occasion de m’y remettre car je souhaitais mélanger la vidéo et la photographie. J’aime la photographie mais je ne la pratique pas comme un travail, sur des projets précis comme un professionnel. Je préfère la garder en passion. Ce n’est plus une échappatoire.

Comment vous est venue l’idée de filmer et de photographier votre parcours pour faire un enfant ?

L’idée de filmer était en fait une nécessité je crois : ma compagne ne voulait plus attendre pour avoir un enfant. J’étais d’accord mais avec encore des questions, des peurs… Et comme c’est mon métier de filmer, j’ai ressenti le besoin de filmer cette histoire à la fois pour m’aider je crois à devenir mère et aussi pour des raisons plus militantes : montrer que nous sommes des familles tout à fait normales et que nous pouvons avoir envie d’enfant et qu’il est dommage que la France ait un tel retard pour les droits LGBT.
Bien sûr, ce n’est pas évident de se filmer et on n’en a pas vraiment envie mais c’était devenu une évidence.

Est-ce que votre compagne a tout de suite accepté la diffusion ? Vous avez projeté Les carpes remontent les fleuves avec courage et persévérance dans de nombreux festivals, non ? Votre famille n’a pas été trop difficile à convaincre ?

Ma compagne connaissant mon travail, plutôt sensible et « réaliste » a accepté le film. Bien sûr, il y a eu des moments tendus où elle ne voulait pas que je filme… des petites prises de tête. Quand en plus, la grossesse n’arrive pas, on n’a plus vraiment envie de faire le film, mais il faut continuer…
Pour ma famille, quand je les ai filmés, ils ne savaient pas toujours que j’allais faire un film. Mes parents ont eu des réticences au premier visionnage, car on parle de choses personnelles et finalement ils ont vite compris que cela faisait partie de l’histoire et que ce n’était pas « péjoratif » pour eux. Aujourd’hui, ils sont même plutôt fiers du film… et de leur petit-fils non biologique !
Le film remporte un beau succès et c’est vraiment gratifiant pour un film écrit à la première personne, c’est un exercice périlleux.
Il a été diffusé au festival LGBT Cinépride à Nantes et Vues d’en face à Grenoble. Il a remporté le Prix Coup de cœur citoyen au festival du film d’éducation d’Évreux qui est une très belle récompense et qui montre que les Français sont accueillants pour nos familles. Il a été diffusé en Guadeloupe, à Strasbourg, Montpellier, Paris… De nouveaux festivals arrivent à Marseille, Nice et surtout à Rome pour le Gender docu filmfest, c’est pas mal donc !

Comment votre documentaire a-t-il été reçu par le public ? Est-ce que vous vous attendiez à ces retours ?

Il est plutôt très bien reçu, par un public varié : jeunes, moins jeunes, hétéro, homos… Ce qui plait c’est qu’il parle à tous car il s’agit d’un désir d’enfant comme pour un couple hétéro en fait, tout le monde peut s’y reconnaître. Les doutes qu’on peut avoir…
Les personnes les plus fermées aux familles homoparentales réagissent mais timidement et sans trop d’arguments après avoir vu le film.
J’espérais ces retours et là c’est déjà beaucoup.

Internet semble avoir joué un rôle important dans ce processus (pour trouver les cliniques, pour parler avec d’autres femmes qui vivaient la même chose…) ?

C’est vrai que nous ne vivons pas au quotidien dans un milieu homo, peu d’amis homos avec des enfants en tous cas… Et s’informer sur la manière de faire, dans quelle clinique aller… ce n’est pas évident.
Nous avons trouvé le maximum d’infos par le forum de l’asso Enfants d’arc en ciel, on le voit dans le film d’ailleurs, avec les expériences de parcours…

Aujourd’hui, alors que ça fait plus d’un an que vous avez traversé tout cela, qu’est-ce que vous retenez en priorité ?

C’est un parcours du combattant de faire un enfant dans ces conditions. Nous trouvions cela difficile sur le moment, car long, coûteux… Avec le recul, on estime qu’on a beaucoup de chance car je connais des personnes qui n’ont pas eu cette chance et qui ont des parcours plus longs, trois, quatre ans et qui n’arrivent toujours pas à avoir un enfant. Je pense à elles et aux hommes aussi pour qui le chemin est plus compliqué.
Ce film était nécessaire pour que je devienne mère à part entière et aujourd’hui je le suis et heureuse de l’être alors qu’il y a dix ans, vous m’auriez demandé si je pensais avoir des enfants, j’aurais sans doute dit « non » !

Vers la fin du documentaire vous lisez la bande dessinée d’un papa qui n’arrive plus à dessiner depuis la naissance de son enfant. Vous arrivez à continuer de travailler depuis la naissance de votre fils ?

Milo est un enfant (heureusement) super cool : il a fait ses nuits très vite, il est facile à vivre… Donc, c’est un vrai plaisir de le réveiller tous les matins ! Bien sûr, on a un peu moins de temps pour soi, surtout quand on fait des métiers passions qui nous prennent du temps. Il faut réapprendre à définir le travail et les moments pour la famille… Ça prend un peu de temps de tout organiser mais c’est faisable ! Et le bonheur qu’il m’apporte est au moins aussi important que le reste. C’est un équilibre.

À plusieurs moment vous parlez du retard français tant en matière de mariage que d’homoparentalité. Vous pensez que les choses vont changer un jour ?

Aujourd’hui, la France a un réel retard sur toutes les questions LGBT. Il y a dix ans, on pouvait comprendre mais entre-temps beaucoup de pays, Espagne, Portugal, Argentine, ont adopté le mariage et l’adoption notamment… Donc, en 2012, il s’agit de rattraper ce retard. La France n’a plus d’excuses. Attendons de voir ce que va faire le nouveau président Hollande.

Et vous, avez-vous pris des dispositions particulières pour protéger votre fils ? Votre PACS vous garantit-il quelque chose ?

Pour l’instant, nous avons juste fait une tutelle testamentaire qui dit que ma compagne voudrait que Milo reste avec moi si elle décédait. Nous attendons la présidence de gauche en espérant que les choses vont évoluer, sinon il faudra qu’on aille plus loin pour nous protéger.
Le Pacs ne permet pas au parent social d’être reconnu.

Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens retiennent de votre documentaire ?

Nous sommes des familles comme les autres et souvent, vu nos parcours, plus tolérantes, ouvertes et compréhensives que d’autres et que c’est cela qui peut faire le bonheur de nos enfants et comme dit la mère d’une amie homo : « C’est une valeur ajoutée d’avoir eu un enfant homo finalement ! » Je trouve ça très beau.
L’homosexualité n’est déjà pas évidente à vivre quand on le découvre à l’adolescence, alors j’espère que de moins en moins de familles couperont les ponts avec leurs enfants qui font leur coming-out. Malheureusement, cela existe toujours (ça n’a pas été mon cas, mais j’imagine la détresse de ces personnes quand la famille, qui est censée nous protéger, nous rejette).

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?

Que toutes les personnes et les familles LGBT soient reconnues pour le bien de tous.
Et que je continue à faire de beaux films, qu’ils soient diffusés et échangés avec le public.

Florence Mary

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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