Lyle : Interview de la réalisatrice Stewart Thorndike

Stewart Thorndike - Lyle

Interview accordée à Samuel Zimmerman le 4 août 2014 pour le site Fangoria.com

Aujourd’hui sort en toute gratuité le film de Stewart Thorndike, Lyle. Ce Rosemary’s Baby lesbien (comme la réalisatrice l’appelle elle-même) produit indépendamment et dans lequel joue l’actrice acclamée Gaby Hoffmann, est né d’un désir personnel qui concordait avec un besoin plus large du cinéma. Un besoin que l’on ne cesse de rencontrer encore et encore dans les films d’horreur : plus de représentation, plus de nouvelles perspectives et plus de diversité à l’écran. Stewart a discuté avec Fangoria de Lyle, de sa création et du projet global dans lequel il s’inscrit.

Au moment même où Lyle est disponible en ligne, Stewart et son équipe ont lancé une campagne de crowdfunding Kickstarter pour Putney, le deuxième film de la trilogie envisagée mettant en avant des personnages féminins. La réalisatrice espère que les admirateurs de son premier long-métrage soutiendront le second et aideront à prouver, contrairement à une étrange croyance, qu’il existe bel et bien un public pour les femmes au cinéma et les femmes dans le cinéma d’horreur.

Qu’est-ce qui vous attire dans les films d’horreur ?

Je crois que j’ai toujours été attirée par les histoires ou les choses horribles qui arrivent aux gens. J’aime le cinéma de genre de manière générale. En tant que réalisatrice, je trouve ces films visuellement plus palpitants pour moi, mais mon attirance pour l’horreur a toujours été là. Je me sens poussée vers ce genre. C’est le premier truc que j’ai commencé à écrire, il y a des années et des années de cela. Puis, j’ai eu l’impression que ce n’était pas important ou pas « sérieux », mais je me suis enfin autorisée à y retourner.

Je n’ai pas de vraie réponse à vous fournir [rires] ! Voilà une réponse intelligente : j’ai l’impression que vous pouvez exagérer autant que vous voulez les scènes qui vous intéressent.

Il est affirmé que Lyle est inspiré de Rosemary’s Baby, mais vous avez habilement transposé les idées des films de ce genre au vôtre. Lorsque Leah dit qu’elle a la chair de poule ou que l’endroit est trop grand, en réalité elle n’est que dans un T3. Mais c’est la réalité ; c’est vraiment grand pour la plupart des gens.

C’est vraiment marrant. Je n’y avais même pas pensé.

En plus, Leah est seule parmi tous ces gens du milieu. June, sa petite-amie, a ses gens à elle et c’est ça qui prépare le terrain pour la paranoïa.

Elle se sent seule et claustrophobe pour beaucoup de raisons et cela en est effectivement l’une des raisons les plus importantes. Dans ma tête, ça va encore plus loin que ça. Elle sait qu’il y a quelque chose qui cloche dans sa relation, qu’il y a toujours eu quelque chose qui clochait, mais elle opte pour la sécurité plutôt que de faire face à une réalité effrayante.

Comment est née cette histoire ?

Concernant le gros de l’histoire, en fait j’essayais de faire mon premier long-métrage, Tacoma, qui était un thriller. On avait un casting de rêve et nous avons beaucoup travaillé, mais nous n’avons jamais réussi à lever les fonds nécessaires. C’était vraiment frustrant. Au même moment, je sortais avec Ingrid [Jungermann], qui interprète June dans le film. Elle est partie en voyage ou un truc du genre et ça m’a vraiment contrariée. J’étais en colère parce que je voulais avoir un enfant et elle non. J’étais dans la douche et j’ai été envahie par cette idée de « elle est mauvaise ». Tout à coup, cette histoire comme quoi elle m’empêchait d’avoir des enfants est venue à moi [rires].

Et concernant l’histoire en elle-même, je l’ai juste gribouillée sur un papier. Puis, j’ai regardé l’histoire – c’est arrivé très vite dans la matinée ou l’après-midi – et je me suis dit « Oh, je viens d’écrire Rosemary’s Baby ». Puis, « Oh, un Rosemary’s Baby lesbien, c’est super palpitant pour moi ». Au lieu d’avoir des histoires lesbiennes sur combien il est dur d’être homo, ici ça fait juste partie de la tapisserie, ça le normalise. J’aime les films de genre, j’aime les films d’horreur. Je veux voir des personnages lesbiens dans des histoires où leurs sexualités ne sont pas  un enjeu du film.

Étant donné qu’Ingrid interprète June et que vous venez ouvertement de me dire ce que vous ressentiez, je suppose qu’elle connait l’origine de l’histoire. Comment était-ce de collaborer dans ces conditions ?

Elle ne le savait même pas avant qu’on fasse une conférence de presse pour notre première à l’Outfest de Los Angeles ! Elle était sur scène avec moi. Elle accepte tout sans sourciller. Elle pense que tout est drôle.

Lyle semble normaliser les relations lesbiennes surtout dans les positions familiales très classiques que prennent Leah et June. Leah reste à la maison. June travaille. June se concentre de façon assez agressive sur le fait d’avoir un fils, Leah non. Elles sont en décalage l’une par rapport à l’autre.

Et vous dites que ça aussi ça mène à l’horreur ? Absolument. C’est clair que cette femme devrait faire beaucoup de changements pour avoir une vie remplie et riche mais elle les ignore juste. Elle devrait faire quelque chose, parce qu’elle a beaucoup à offrir.

Vous mettez Lyle en ligne gratuitement. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

La raison pour laquelle nous avons choisi Internet remonte à notre tentative de créer Tacoma et à notre incapacité à lever les fonds. Je m’étais vraiment sentie privée de mon autonomie. J’ai eu de minuscules financements pour juste réussir à réaliser Lyle et toutes ces personnes très talentueuses avec lesquelles j’allais travailler sur Tacoma et d’autres personnes ont accepté de travailler avec moi, alors j’ai juste profité de tout ce monde-là. Ça m’a donné l’impression de maîtriser l’histoire que je voulais raconter. On dit toujours que les films avec des femmes ne font pas gagner d’argent, et qu’Hollywood ne les soutient pas parce qu’il n’y a pas le public pour. Je n’arrive pas vraiment à comprendre la raison insidieuse pour laquelle ça n’arrive pas et pourquoi ils disent qu’il n’y a pas de public, mais c’était une façon pour moi de créer une histoire et d’en avoir le contrôle.

Et donc ça a beaucoup mieux marché que ce que l’on pensait. Lorsqu’il a fait sa première, nous avons eu beaucoup d’attention. Tout à coup, on se sentait comme « Oh, wouah, on a maintenant la possibilité de suivre la voie classique ». Mais nous ne l’avions pas fait dans cet esprit-là. Ça a été dur de prendre une décision, de tout à coup avoir cette opportunité, de potentiellement pouvoir gagner un peu d’argent avec ce film après une année à complètement m’appauvrir. On a juste décidé de coller à notre idée de départ, de rester sur nos positions.

On a décidé d’être un peu rock et de le mettre en ligne gratuitement, voir si l’on pouvait trouver un public qui aimerait ce genre de films et soutiendrait le suivant. On fait une trilogie. Nous espérons qu’il existe un public qui voudrait voir un film d’horreur axé sur des femmes, avec une perspective féminine et des actrices.

À votre avis, pourquoi l’idée qu’il « n’y a pas de public » se répand encore alors qu’il a été de plus en plus démontré que c’était faux ?

Je ne sais pas ! Parce que les gens n’aiment pas le changement ? Parce que les personnes en charge pensent qu’elles en savent plus que les faits eux-mêmes ? Je ne sais pas. Ma supposition est que c’est l’une de ces choses débiles que font les gens lorsqu’il y a du changement : une grande résistance à toute nouveauté. C’est le dernier tintement de la petite mort.

J’espère. Maintenant, on commence à voir des choses un peu différentes.

Vous voulez dire, juste parce qu’il a une perspective féminine ?

Oui, parce qu’il y a des perspectives féminines. Des perspectives LGBT. D’après l’avancée de vos projets, que signifie un film d’horreur axé sur les femmes ?

Le terme « axé sur les femmes » pour moi, veut juste dire que les femmes sont les personnages principaux et ça vient de moi parce que je suis une femme [rires]. Je ne me suis jamais posée pour réfléchir aux différences entre les films d’horreur masculins et féminins. Je ne savais même pas que ce serait un sujet à discussion avant d’avoir fait le film. J’ai toujours aimé les films d’horreur. Je ne savais même pas qu’il n’y avait pas vraiment de films d’horreur réalisés par des femmes, pas tant de films d’horreur grand public que ça.

A propos de Lou Morin

Traductrice Anglais/Français

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