Nadya & Elena : Interview de Sylvie Geroux

Nadya & Elena : Interview de Sylvie Geroux

Interview accordée à Isabelle B. Price le 06 Mai 2013 pour le site Univers-L.com

Pouvez-vous vous présenter à nos lectrices, nous parler de vos études, de votre parcours professionnel ?

Avec plaisir ! J’ai suivi un cursus scientifique standard, puis j’ai pris un chemin de traverse un peu original puisque j’ai un diplôme officiel de géologue. En dépit de la légende qui veut que tout géologue se doive d’être barbu (leur sainte patronne étant d’ailleurs la sainte Barbe), plus de la moitié de ma promotion était féminine.

J’ai finalement dû abandonner cette branche dont les débouchées se faisaient un peu trop désirées, mais j’ai gardé une affection particulière pour les fossiles d’ammonites… Un peu moins pour les barbus. J’ai ensuite divagué entre différents jobs administratifs, avant de finalement réussir un concours de la fonction publique, en l’occurrence celui d’adjoint de chancellerie des Affaires étrangères. Et c’est ce même Ministère qui m’a amenée à travailler à Londres et très bientôt à Amsterdam.

Comment êtes-vous devenue auteure pour les éditions Harlequin ? Avez-vous écrit d’autres romans ?

C’est un coup de chance, on peut le dire. Harlequin a organisé un concours d’écriture en partenariat avec  le site WeLoveWords. Ma meilleure amie et ange gardien, qui a toujours de bonnes idées et l’œil perçant, m’a envoyé le lien. Je venais de terminer Nadya & Elena… C’est ce qu’on appelle le parfait timing ! Mon texte a finalement été choisi parmi les lauréats.

Nadya & Elena est mon premier roman publié. J’ai cependant écrit d’autres romans avant celui-ci et j’ai d’autres projets en cours. J’aime la variété aussi bien en lecture qu’en écriture. J’ai donc deux romans fantastiques jeunesse en stock, et un thriller en cours d’exécution. Dans ce dernier, l’intrigue tourne autour de meurtres dans la communauté lesbienne de Montpellier.

C’est la première fois que les éditions Harlequin publient un roman lesbien, non ? Savez-vous comment leur est venue l’idée et pourquoi maintenant ?

Je pense que c’est la première fois, en tout cas je n’ai pas trouvé de traces de précédent ! Et je dirai que pour eux comme pour moi, ce fut une rencontre imprévue. Harlequin ne s’attendait probablement pas à avoir un extra-terrestre lesbien au milieu des candidats à ce concours. Ils ont décidé de lui donner sa chance et j’en suis fort aise. Pourquoi maintenant ? Le lancement de cette collection numérique était peut-être l’occasion pour eux de prendre quelques risques.

Comment est née l’histoire de Nadya & Elena ? Pourquoi avoir choisi de la situer durant les Jeux Olympiques ?

L’histoire de Nadya & Elena est en fait née des Jeux Olympiques. Habitant Londres durant cet été 2012, il était impossible de passer à côté de l’évènement. Tout était fait pour vous le rappeler et l’atmosphère même de la ville était particulière. Il m’a suffi de deux ou trois soirées passées devant ma télé à regarder les séries et finales d’athlétismes pour que l’idée germe dans mon esprit.

Il y a peu de sportifs en activité ouvertement ‘out’, pourquoi ce choix de profession dans votre roman ?

Disons qu’en premier lieu, c’est le contexte des JO qui m’a inspiré et cela impliquait pour moi le sport avant tout. Et dans le même temps, cela me paraissait justement une bonne idée parce que l’homosexualité n’est pas très visible dans ce milieu… Ni très bien vue encore maintenant. Elle existe pourtant, et j’imagine que les sportifs et sportives homosexuels auraient une bien meilleur qualité de vie s’ils pouvaient décider d’être « out » sans crainte. Pour ça, il faudrait bousculer un peu le système,  les habitudes et les vieux préjugés.

L’Ukraine et la Bulgarie ne sont pas les deux pays les plus ouverts en matière d’homosexualité ? Pourquoi ne pas avoir imaginé une Britannique ou une Norvégienne ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Une toute simple, j’ai réellement assisté sur mon petit écran aux finales de ces deux sports, et mes deux héroïnes s’inspirent directement des deux médaillées d’or. Attention la ressemblance s’arrête là, je n’ai aucune idée de l’orientation sexuelle de ces deux athlètes. J’ai légèrement changé les nationalités pour éviter des ennuis (on ne sait jamais), mais il s’agissait de deux filles de l’est, une croate et une kazakh si je ne me trompe pas. D’ailleurs, sans mentir, cette lanceuse de disque était réellement charmante !

Une autre raison fut qu’on parle finalement peu de la problématique homosexuelle de ces pays. On sait que ce ne sont pas des havres de paix, mais on évoque d’avantage, il me semble, l’Afrique et l’Arabie, où se mêle au problème un contexte religieux particulier. Hors on n’a pas forcément besoin d’aller jusque-là, ou de chercher l’exotisme, pour trouver de l’homophobie étatique. Il y en a aux portes de l’Europe et même au sein de celle-ci.

Mais il est vrai que j’aurais pu choisir une idylle entre une Britannique et une Norvégienne. Pourquoi pas ? On peut aussi imaginer des différents et complications entre ces deux-là. Si, si, il en faut ! Sans problème, si elles tombent amoureuses au premier regard, s’avouent leur amour le jour suivant et convolent à la fin de la semaine, pour le coup, ça va vraiment être léger. On ne peut quand même pas écrire un roman de vingt pages. Une sprinteuse britannique issue d’une famille conservatrice et royaliste dans l’âme tombant amoureuse d’une coureuse de fond norvégienne punk anarchique ressemblant plus ou moins à Noomi Rapace dans Millenium (pas tout à fait le même pays, mais on est libre de jouer un peu avec la géographie). Je vais peut-être créer une série lesbienne olympique finalement !

Pouvez-vous nous parler du titre du livre ? Est-ce vous qui l’avez choisi ?

J’ai choisi ce titre en concertation avec Harlequin. Le titre se devait d’être simple et surtout sans ambigüité sur le type de romance contenue. Mon titre original était « Le buffle et la gazelle » et les éditions Harlequin m’ont proposé de m’orienter vers un titre moins susceptible d’amener une certaine confusion sur le genre des deux protagonistes.

Je n’aime pas trop poser cette question mais puis-je vous demander si vous êtes homosexuelle ? Est-ce que ce roman revêt une importance particulière pour vous ?

Vous pouvez le demander sans problème. Je suis lesbienne et j’ai la chance de pouvoir le vivre librement que ce soit auprès de ma famille, de mon environnement professionnel ou même de mon « voisinage ». J’entends par là, qu’il est certainement plus facile d’être homosexuelle à Londres qu’à Lagos par exemple.

Cela faisait quelques temps que j’avais envie d’écrire autre chose que du fantastique jeunesse.  Et cela me démangeait un peu de créer des personnages qui partageraient en quelque sorte mon orientation sexuelle. J’ai donc écrit cette histoire en plein été pluvieux, alors que j’étais réquisitionnée à Londres pour cause de Jeux Olympiques, et que les chances de soleil et sable fin ne s’annonçaient pas avant fin septembre. J’ai finalement écrit un peu ce que j’avais envie de lire à ce moment précis, on n’est jamais mieux servi que par soi-même… Que cette nouvelle écrite sous une impulsion romantico-estivale ait finalement été mon premier roman publié reste une surprise pour moi.

Comment votre livre a-t-il été accueilli par le public ? Par les fans des romans Harlequin ? Les lesbiennes en général ? Votre famille ?

Pour le moment, je n’ai pas eu de réactions négatives du public. Sur le corps du roman, on m’a parfois reproché un peu sa légèreté, et je ne nie pas qu’il s’agisse d’une histoire d’amour sans prétention. C’est une romance simple, et elle n’a pas vraiment vocation à se torturer l’esprit. Le sujet en lui-même semble susciter une certaine curiosité chez les habitués d’Harlequin. Des lesbiennes chez Harlequin, quelle audace ! Mais jusqu’ici, je dois dire que cette curiosité est très positive puisque les intéressées semblent plutôt saluer l’initiative.

Concernant ma famille, ils ont été ravis de la nouvelle. J’ai beaucoup de chance, je m’en suis rendue compte, d’avoir une famille extraordinaire de stabilité et d’ouverture d’esprit. Quand on est jeune, on prend cela pour la norme, mais en prenant de la bouteille, et en rencontrant d’autres contextes, on s’aperçoit que c’est une rareté qui n’a pas de prix.

Savez-vous si les éditions Harlequin vont lancer une collection “lesbienne” ? D’autres romans mettant en scène deux femmes amoureuses sont-ils à l’ordre du jour ?

Bonne question ! A ce jour, je ne pense pas qu’il y ait de projet de collection « lesbienne », mais j’imagine qu’il en va de l’édition comme du reste, tout est affaire d’offre et de demande. Harlequin a décidé de publier cette histoire car elle pouvait selon eux toucher aussi bien un public hétéro qu’un public homo. En ce sens, ils l’ont mêlée aux autres romans sortis récemment dans leur nouvelle collection numérique francophone.

Je ne suis pas certaine qu’ils reçoivent beaucoup de proposition de romance lesbienne. Moi-même s’il n’y avait eu ce concours, je n’aurais jamais pensé à eux. Si j’avais dû soumettre mon manuscrit à un éditeur, je l’aurais probablement envoyé à une maison « labellisée » LGBT. Si l’on veut qu’une telle collection voie le jour, j’imagine que c’est à nous de pousser le projet et de leur proposer d’autres romances du genre.

Avez-vous une idée des ventes de Nadya & Elena ? Est-ce dans la moyenne des ebook plus “traditionnels” ?

Non, pour le moment je n’ai aucun retour sur les ventes.  L’ebook est sorti il y a moins de trois semaines, c’est probablement un peu tôt pour se faire une idée. Je m’amuse à regarder son classement sur Amazon, mais celui-ci peut varier en 24h de la 700ème place à la 15000ème place. Je ne suis pas certaine de la façon dont sont calculés ces chiffres pour pouvoir bouger aussi rapidement. En tout cas, le bas du classement étant à plus 30000, je m’estime au moins dans la première moitié du tableau en ce qui les concerne !

Votre roman sort alors que la question du mariage pour tous a fait débat pendant de longs mois en France ? Qu’en avez-vous pensé ?

Du débat ou du timing ? Concernant le timing c’est un pur hasard je pense, car le concours a eu lieu en automne avec l’annonce des résultats en janvier, et le reste s’est mis en place pour un lancement de la collection HQN francophone en Mars. Mais effectivement quelque part, cela tombe à pic. J’ai d’ailleurs eu un commentaire ou deux faisant un parallèle entre la sortie de ce livre et l’actualité française.

Concernant le débat qu’il y a eu en France et la mobilisation des « anti », j’avoue que cela m’a considérablement irritée, même vu depuis l’autre côté de la Manche. Il y a eu une telle énergie déployée dans ce combat, alors qu’il me semble quand même y avoir des problèmes bien plus importants en France.

 J’ai du mal à comprendre que des personnes se sentent aussi menacées du fait qu’on donne le droit au mariage aux homosexuels. D’une part, on n’enlève aucun droit aux hétérosexuels en faisant passer cette loi, d’autre part le mariage homo existe déjà depuis bien des années dans d’autres pays sans que la société y soit tombée en morceau pour autant. La France est loin d’être une pionnière sur le sujet.

De plus François Hollande, qu’on le veuille ou non, a été élu au suffrage universel avec un programme qui incluait le droit au mariage pour les homosexuels. Il fait passer la loi qu’il a promise (pour une fois qu’un politicien se tient à ses engagements !), c’est ce qu’on appelle la démocratie à mon sens. Qu’il y ait des grognements et protestations, soit, c’est une spécialité hexagonale de toute façon. Mais que la rue (ou en tout cas une partie de celle-ci qui se pense visiblement investie d’un certain pouvoir moral) cherche à imposer sa loi en revenant sur un vote national à coup de menace de radicalisation du mouvement, là ça devient plus problématique.

Pour conclure, sans préjuger du reste de la politique de ce gouvernement, je suis contente qu’il n’ait pas reculé devant la pression des « anti ».

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?

Plein de petits bébés Harlequin ? Ma compagne, indienne d’origine, a pris l’habitude de me surnommer Froggy. Et oui, il y a des légendes qui collent aux nationalités comme les « th » britanniques vous collent au palais, ici nous serons toujours des mangeurs de grenouilles ! Depuis la parution de ce roman, elle me dit qu’il ne me reste plus qu’à devenir Froggy Cartland… J’imagine qu’il y a bien pire à souhaiter à quelqu’un !

Site Officiel de Sylvie Geroux

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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