Interview de la créatrice Otessa Ghadar

Interview liée à la websérie Orange Juice in Bishop's Garden

Interview accordée à l'équipe Univers-L le 30 Août 2010 pour le site Univers-L.com

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours professionnel et de vos projets?

J’ai toujours été intéressée par les films et la production. Donc, à l’Université de Columbia à New York, quand j’ai découvert que c’était une matière qu’on pouvait en fait étudier et même prendre pour spécialité, j’ai plongé. Ceci au grand dam de mon conseiller d’orientation et de mes parents, qui étaient affreusement méfiants de me voir tourner le dos à ma somme toute excessivement raisonnable Licence en Physique et Mathématiques théoriques, pour gâcher ma vie avec des films. Un véritable drame. (J’exagère à peine). Ils ont changé d’avis depuis ! Au départ, Orange Juice in Bishop’s Garden était en fait mon projet de thèse à Columbia.

J’étais (et suis toujours) passionnée par les nouveaux médias – surtout les web séries. Les nouveaux médias sont comme le Far West de la réalisation et, à mon avis, une formidable migration vers une nouvelle frontière… Frontière pour laquelle beaucoup à mon école d’audiovisuel n’étaient pas prêts à préparer leurs bagages de bourgeois – ce qui se comprend mais moi j’étais prête et je voulais montrer ma facette Clint Eastwood. Je suis encore éblouie et immensément reconnaissante que la série ait réussi à être diffusée et à grandir depuis les humbles balbutiements du début. Nous avons récemment bouclé le tournage de la saison 3 d’OJBG. L’été prochain, nous enchaînerons sur la Saison 4. Tout est trop beau pour être vrai et l’équipe avec laquelle je travaille est une totale source d’inspiration. Parfois j’ai l’impression qu’il faut que je me pince.

Voyons voir… Les autres projets. Ok, je n’en dirai pas trop, mais je suis un peu une fanatique de science fiction et ceci se matérialisera bientôt en une autre web série. Je suis très excitée de démarrer cette deuxième web série !

Parmi les autres jobs étranges que j’ai faits par le passé, être DJ en est un qui me manque terriblement et que j’ai apprécié faire pendant, oh, 10 ans à New York. En réalité, j’ai vendu la moitié de ma collection de disques pour financer le démarrage d’Orange Juice in Bishop’s Garden.

Comment est née l’idée de cette web série ? Pourquoi a-t-elle lieu en 1994 à Washington DC ? Pourrait-elle se passer ailleurs ou à une autre époque ?

J’ai grandi à Washington dans les années 90 et ça a vraiment inspiré mon travail. J’ai considéré mes 10 ans à New York comme une parenthèse comparée à ma torride histoire d’amour avec notre capitale. Washington dans les années 90 était vraiment un lieu et une période incroyables où grandir – et je voulais rendre ça – le transmettre aux adolescents d’aujourd’hui et aussi à ceux d’entre nous qui étaient ados dans les années 90. Ça et mon amour des nouveaux médias et des histoires de passage à l’âge adulte ont donné naissance à Orange Juice in Bishop’s Garden.

La série est essentiellement basée sur mes propres expériences quand j’étais adolescente. (Parce que, quelle personne dans la vingtaine ne veut pas regarder en arrière et se rappeler de toutes les horribles erreurs et des leçons apprises ?) Je voulais montrer une représentation pertinente des ados dans les années 90 – et de l’adolescence en général – la version sale/heureuse/triste (et pas la version “Jimmy Choo et sacs Fendi” qu’on voit si souvent à la télé américaine ces temps-ci et à laquelle je trouve difficile de s’identifier)… et ma façon de faire ça consistait à placer la série dans un lieu et une période que je connaissais et que j’aimais.

De plus, j’ai l’impression que les années 90 sont vues (et oubliées) comme l’enfant illégitime du 20ème siècle et, même si ça a pu être un peu bâtard, elles ont apporté un tas de choses bien.

De même, j’ai un énorme sentiment de nostalgie pour l’époque grunge. Vous remarquerez ces Doc Martens montantes bleues et immaculées portées dans la série : “entretenues avec un soin  obsessionnel depuis 1994” et restaurées façon musée. Je suis tellement conservatrice ; mais ça a payé puisque j’aurais pratiquement pu habiller la moitié des acteurs avec mon placard à trésors poussiéreux. (Ok, rien n’est poussiéreux – en fait, je continue à porter la plupart de mes fringues des années 90…)

Pourquoi écrire sur l’adolescence ?

Je pense que grandir est empreint de difficultés et il y a eu des séries (comme Angela, 15 ans) qui m’ont vraiment parlé à cet âge – des séries qui vous font vous sentir moins seul. Je voulais essayer de faire la même chose pour les ados d’aujourd’hui… leur parler honnêtement, sans les baratiner, sans les sous-estimer ou être condescendante – et, avec un peu de chance, faire que quelqu’un d’autre se sente moins seul… et même le faire rire.

D’où vous est venue l’idée de ce nom pour la série ? Pouvez-vous expliciter ce que symbolise le “Bishop’s Garden” [Jardin de l’Évêque] et pourquoi le jus d’orange ?

C’est une référence au tout premier épisode de la saison 1. Dans la scène d’ouverture, Sarah et Kris boivent du jus d’orange… une boisson qui fascine totalement aux Etats-Unis parce qu’elle est toujours considérée comme faisant “partie de ce petit-déjeuner équilibré” et pourtant, ça a un goût horrible avec le lait, horrible avec le café, horrible avec le thé, horrible après s’être brossé les dents. C’est pour ainsi dire la pire des choses à boire en premier dès le matin. Sarah et Kris s’en plaignent – mais boivent du jus d’orange quand-même.

Ensuite, le soir, ils vont tous au Bishop’s Garden : un lieu qui était et qui reste un endroit phare où les ados vont traîner à Washington. Ils réussissent à se procurer de l’alcool mais leur groupe est jeune et inexpérimenté en matière de boisson – donc aucun d’eux ne peut tenir l’alcool. Les choses perdent stupidement tout contrôle. Pour faire court : tout part en vrille… Ensuite les flics débarquent, auxquels ils arrivent à échapper.

Alors que Sarah et Kris rentrent chez elles à pied… Kris dit combien la nuit a été un désastre et qu’elle a souhaité que “les flics débarquent”. Ce à quoi Sarah répond : « Si seulement on avait bu que du jus d’orange. » (au lieu de l’alcool).

Et je pense qu’au final, c’est de ça que parle la série : dans un monde d’attentes, de surenchères, de combines d’ados… on peut se sentir vide et parfois on voudrait juste boire du jus d’orange avec sa meilleure amie.

Je me souviens avoir souvent ressenti ça étant ado. Et je voulais appuyer là-dessus.

Quelles sont les contraintes et les avantages que pose le format d’une web série d’après votre expérience ?

Les nouveaux médias sont un terrain de jeux. C’est une des raisons pour lesquelles ça m’a attirée. Ça laisse tellement de liberté, c’est plein d’un souffle créatif. En dehors des épisodes, le site internet en lui-même est assez interactif. Il y a des messages postés sur le blog par les personnages et des pages consacrées à chacun d’eux (presque comme une bêta version de Facebook des années 90), où les personnages peuvent rebondir sur les histoires que nous voyons dans la série et interagir avec les autres personnages ou les spectateurs.

Dans l’idéal, c’est un autre aspect d’Orange Juice in Bishop’s Garden que je veux continuellement construire et développer.

Encourager et construire la vie interactive en ligne de la série garde les choses fraîches et attractives. Je trouve que c’est quelque chose de vraiment vibrant, progressiste et continuellement changeant dans le monde du storytelling – une chose à laquelle un spectateur peut à la fois prendre part et expérimenter et peut-être même modifier l’histoire en apportant sa contribution.

Quant aux freins… peut-être le manque de financements. Je suis la scénariste, la réalisatrice et la productrice donc tout est vraiment indépendant et nous devons être très peu gourmands. En fait, ça a été une bénédiction déguisée parce que j’ai dû créer quelque chose à partir de rien ce qui est une qualité utile ces temps-ci. J’espère qu’après quatre saisons d’Orange Juice in Bishop’s Garden et avec les web séries mondiales qui gagnent un respect bien mérités, je serai capable de trouver des personnes volontaires pour tenter le coup dans mon prochain projet.

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