On ne saurait rien des sœurs Papin sans le retentissement créé par un sanglant fait divers très angoissant : le double meurtre, à leur domicile et par leurs bonnes, d’une mère et de sa fille dans la bonne ville tranquille du Mans, le 2 février 1933. Leurs domestiques, deux sœurs entrées six ans plus tôt à leur service et connues pour être des servantes modèles, les ont sauvagement et sans raison apparente, énuclées de leur vivant, puis réduit leur visage en bouillie à coup de marteau avant de les scarifier sur les cuisses et le bas du dos avec un couteau comme s’il ne s’agissait que de lapins prêts à cuire.
Ce qui est intéressant dans leur histoire, c’est l’attention grandissante portée progressivement à leur sexualité et à leur relation très exclusive, alors qu’au départ, c’est une explication beaucoup plus sociale, héritée de la lutte des classes, qui avait servi de modèle explicatif… Plongeons dans cette histoire constamment ressassée par les psychanalystes et psychiatres, puis plus récemment par les cinéastes.
Que sait-on des sœurs Papin ?
Christine, née en 1905, et Léa, née en 1911, sont les deux dernières filles du couple ouvrier formé par Gustave Papin et Clémence Derée. Christine est placée très rapidement chez sa tante, à l’âge de 28 jours. Sa mère n’est pas très maternelle et entretient des aventures, tandis que son père, régulièrement absent, est un alcoolique notoire. Autant dire que ce ne sont pas de bons parents. Mais pourquoi placer Christine et garder l’aînée, Émilie, puis ensuite la benjamine, Léa ? En 1913, le couple qui bat de l’aile divorce. Gustave a violé sa fille aînée Émilie, que sa mère accuse alors de tous les maux. Clémence obtient la garde de ses trois filles et place aussitôt les deux aînées en pension, en ne gardant que Léa, la plus jeune, âgée de seulement 2 ans. Ensuite, elle cherche à placer ses filles comme domestiques chez des bons bourgeois du Mans pour empocher une partie de leurs gages.
Christine, se sentant persécutée et haïssant sa mère qui ne l’aime pas, prend Léa sous sa protection et développe des sentiments très particuliers pour elle. Elle cherche à la sortir de son influence qu’elle juge – sans doute à raison – néfaste.
En 1926 ou 1927, Clémence trouve une place de domestique pour Christine chez les époux Lancellin au 6, rue Bruyère. C’est une bonne et grande maison où Christine sait aussitôt se faire reconnaître comme une servante de qualité. Elle obtient que sa sœur Léa, âgée alors de 15 ans, soit embauchée avec elle pour l’aider. C’est la première fois que les deux sœurs vivent ensemble. On les découvre très proches sur cette photo : Léa est à gauche, Christine à droite.
Les Lancellin les logent chez eux, à l’étage des domestiques, dans une petite pièce commune. Elles dorment dans le même lit, sont nourries et blanchies et ont un jour de sortie par semaine. En 6 ans de service, elles ne demandent et ne prennent aucun congé. On ne leur connaît aucune aventure et elles ne sortent que toutes les deux. Leur affection exclusive l’une pour l’autre rassure tout le monde et les font percevoir comme des bonnes modèles. Une chose inquiète cependant la famille Lancellin : en 1928 ou 1929, les deux sœurs cessent de rendre visite à leur mère et rompent, sans explication, toute relation avec leur génitrice. Si Christine est bel et bien majeure, ce n’est pas le cas de Léa. Les deux sœurs ne sortent plus que pour aller à la messe et restent dans leur chambre pendant des heures. Elles se renferment sur elles. Autre fait qui inquiète le maire du Mans, en 1931, Christine demande l’émancipation de sa sœur mineure Léa, afin de la sortir de la tutelle de sa mère. Christine semble vouloir garder Léa pour elle seule.
Pourtant, chez les Lancellin, tout semble se passer pour le mieux. Les sœurs Papin sont contentes de leurs patrons et nouent même des relations de tendresse avec leur patronne, Mme Lancellin, qu’elles appellent entre elles leur « maman ».
C’est pourtant cette femme et sa fille qu’elles assassinent brutalement en 1933, avant d’aller prendre un bain puis de se coucher l’une contre l’autre, en peignoir, dans leur petite chambre de bonne fermée à double tour. Lorsqu’on les y trouve, elles avouent aussitôt le double meurtre. Sur ces photos judiciaires, prises au moment de leur arrestation, on les voit encore revêtues de leurs peignoirs.
Pendant leur procès, malgré l’examen de leurs antécédents familiaux (le viol de leur sœur aînée, la folie de leur cousin, le suicide par pendaison de leur oncle) et un examen psychiatrique, elles sont reconnues comme pleinement responsables et saines d’esprit.