Le mouvement Riot Grrrl et la visibilité lesbienne

Même si vous ne connaissez pas le mouvement Riot Grrrl, vous avez sans doute entendu parler des groupes actuels qui citent ce mouvement comme influence (Peaches, The Organ, Gossip, Lesbians on Ecstasy, PJ Harvey, Queen Adrena, Juliette and the licks…), ou qui y sont liés dans leur genèse (Runaways, Le Tigre, Courtney Love, etc…). Il s’agit aujourd’hui de groupes très différents musicalement, or le mouvement Riot Grrrl est un mouvement à la base plutôt punk. Mais ce n’est pas qu’un courant musical puisqu’il a été à l’origine également des premiers discours féministes dans le punk, avec des filles énervées, créatives et affirmées.

Les premiers groupes Riot Grrrl émergent dans les années 90, aux États-Unis. Ils semblent avoir été créés en réaction au machisme régnant alors dans le mouvement punk. Plusieurs groupes uniquement féminins naissent à ce moment-là, malgré l’hostilité ambiante, et proposent des paroles féministes radicales. Comme souvent dans les mouvements à tendance féministe, les liens avec la visibilité lesbienne sont nombreux et, dans le mouvement Riot, sont parfois accentués par les groupes eux-mêmes. Pour tenter d’en faire une analyse la plus précise possible, il est important de différencier deux scènes parfois confondues sous le même terme Riot Grrrl. La première scène, très punk, sans doute l’originale et la plus en lien avec la visibilité lesbienne est celle formée autour du groupe fondateur Bikini Kill. Elle est originaire d’Olympia (Washington). La deuxième scène, plus rock et souvent plus commerciale, celle formée autour du groupe Hole de Courtney Love, s’est créée autour de Minneapolis (Minnesota) et Los Angeles (Californie). Les deux scènes confondues régulièrement sous le nom de Riot Grrrl, sont donc, comme nous allons le voir, très différentes, mais loin d’une liste exhaustive de chaque scène, nous essayerons plutôt de comprendre les liens qui se sont créés entre leurs différents univers.

I)  La première scène Riot Grrrl

1) Le groupe fondateur : Bikini Kill

Mouvement Riot Grrrl

Tout d’abord, le mouvement Riot Grrrl se crée en 1990, avec l’apparition de ce qui est désigné avec le recul comme le groupe fondateur : Bikini Kill. Il s’agit de quatre filles énergiques et féministes : Kathleen Hanna (chanteuse), Kathi Wilcox (bassiste), Tobi Vail (batteuse), et Billy Karren (guitariste). Avant même la musique, c’est l’adhésion à une vision semblable du féminisme qui réunit les têtes pensantes du groupe. En effet, Kathleen et Tobi se rencontrent à l’université, autour de la création d’un fanzine féministe, le bien nommé « Bikini Kill ». Cette collaboration amène l’idée de la création d’un groupe de musique pour exprimer, sur un autre mode, leurs revendications. Elles sont alors rejointes par deux autres membres, Kathi et Billy. Ces quatre filles prônent, dès leur première démo, le « Revolution Girl Style Now ». Mais la réputation du groupe va surtout se créer sur leurs performances scéniques, mêlant la voix aigüe et énervée de Kathleen à une rythmique punk très efficace.

Leurs concerts sont des temps où les membres peuvent exprimer tout ce qu’elles pensent du sexisme, de l’homophobie, même si Kathleen Hanna évoque la difficulté qu’elles ont éprouvée à s’affirmer dans un milieu aussi violent et macho, les spectateurs venant leur dire qu’ « elles jouaient bien pour des filles » ou les insultant. Dans ce contexte plutôt hostile, le groupe a continué à exprimer ses convictions, à travers des paroles explicites, et lors de leurs concerts, en invitant les filles présentes dans le public à se rapprocher de la scène et à intégrer leur mouvement d’anticipation. En effet, le style des paroles est direct et clairement revendicatif. Différents sujets féministes sont ainsi abordés au gré des chansons. Kathleen chante/crie par exemple le droit d’expression des femmes : « We’re Bikini Kill …revolution !  You’re a big girl now, Fore you can stand up for your rights, you do have rights” (in Double Dare)
Dans la chanson poétiquement titrée “I like fucking”, elle défend la liberté sexuelle des femmes ainsi que leur droit au plaisir :
« my world, sweet sister, is so fucking, Goddamn full of rape, does that mean my body must always be a source of pain ? (…) What we need is action/strategy,I want, I want it now.
I believe in the radical possibilities of pleasure, babe

Enfin, dans une de leurs chansons les plus connues, “Rebel Girl”, elle évoque une relation homosexuelle féminine : «  In her kiss, I taste the revolution (…) they say she’s a dyke, but I know, she is my best friend yeah ». (Pour un aperçu de cette chanson des Bikini Kill en live, cliquez ici).

Mouvement Riot Grrrl

Le groupe met donc en avant les thèmes de féminisme et d’homosexualité, même si les deux membres les plus actifs, Kathleen Hanna et Tobi Vail, sont plus connues pour leurs relations hétérosexuelles : Kathleen est sortie avec Dave Grohl de Nirvana et s’est mariée par la suite avec un des membres des Beastie Boys, tandis que Tobi Vail a eu une liaison avec Kurt Cobain. Leur sensibilité à la cause lesbienne vient donc peut-être plus de leur idéologie féministe ainsi que de leur entourage lesbien. Par exemple, avant la création de Bikini Kill, Kathleen Hanna, anciennement strip-teaseuse pour payer ses études, avait ouvert une galerie d’art avec une amie, Tommy Rae Carland, dans laquelle elles ont proposé des œuvres et performances féministes. Une chanson de Bikini Kill, « Tommy Rae » lui a d’ailleurs été dédiée, alors qu’elle est désormais réalisatrice, artiste, éditrice et détentrice du label indépendant lesbien Mr Lady Records, label qu’elle a créé avec sa petite amie Kaia Wilson.

Mais non seulement la question homosexuelle est soulevée par les Bikini Kill, mais également celle du genre en général, ce qui est très novateur à ce moment-là. Cette autre question est notamment présente dans le fanzine que Tobi Vail crée par la suite : « Jigsaw » qui signifie, au choix, scie électrique ou puzzle…

L’émergence des Bikini Kill est donc une étape fondamentale dans le mouvement Riot. Le film « It Changed My Life: Bikini Kill In The U.K. », dans lequel Lucy Thane suit Bikini Kill en tournée, est d’ailleurs révélateur de toute la créativité dont le groupe était entouré et également générateur. Mais il ne faut pas oublier que cette étape n’a pu avoir lieu que grâce aux antécédents créés par d’autres femmes dans le rock, telles que Debbie Harry de Blondie, Patti Smith, ou Joan Jett des Runaways. C’est d’ailleurs cette dernière, qui n’a jamais caché sa bisexualité, qui produisit leur single « New Radio/Rebel Girl », légitimant ainsi définitivement leur punk comme la suite logique des premières féministes du rock.

2) Bratmobile

Mouvement Riot Grrrl

L’autre groupe important de cette scène Riot Grrrl est Bratmobile, dont la batteuse Molly Neumann a été l’origine du terme « a girl riot ». En effet, selon la légende, le terme viendrait d’une lettre envoyée par une journaliste à Molly Neuman de Bratmobile, disant : « we need to start a girl riot », « riot » signifiant « émeute ». Tobi Vail de Bikini Kill, quant-à elle, utilisait souvent le terme « Angry grrrl », donnant finalement naissance à l’expression « Riot Grrrl ». Comme pour Bikini Kill, les deux premiers membres, Molly Neumann et Allison Wolfe se sont rencontrées alors qu’elles travaillaient ensemble sur le fanzine féministe, le non moins bien nommé, « Girl Germs », avant de se décider à monter un groupe de musique. Le groupe prône également de façon directe le pouvoir des femmes et aborde clairement le sujet de l’amour homosexuel dans ses chansons :

« …just go to sleep, I’m with my girlfriend, But girlfriends don’t keep, No, girlfriends don’t keep, She’ll leave me and hurt me and make me cry, And just when I think I’m gonna die, I’ll find another who can make me smile, But I know it’s only gonna last a little while, Cause girlfriends don’t keep, She loves another she just wants to be friends, So she’s showing the usual heart break ways, I know she’s gonna be mine one of these days, Girlfriends don’t keep,  I know she’s gonna break my heart these days » (in Girlfriends don’t keep)
« if you’ll be my bride, you can’t kiss & ride » (in Kiss and ride en live) (Clip video de Eating Toothpaste)

Les paroles sont sans détour et les chansons régulièrement courtes. Le groupe sera, par la suite, parti prenante de la création du Lady Fest, un festival ne produisant que des artistes féministes. En effet, la première édition, à laquelle elles se produiront en concert, aura lieu en 2000 dans la ville d’Olympia, lieu de l’émergence de cette première scène Riot, et plusieurs éditions auront lieu par la suite dans le monde entier avec de plus en plus de succès.

3) Actualité des membres du groupe fondateur

Mouvement Riot Grrrl

Bikini Kill et Bratmobile sont donc deux groupes évoluant dans la même sphère intellectuelle, trois membres de Bikini Kill joueront ainsi par la suite avec Molly Neuman de Bratmobile dans leur groupe The Frumpies, puis poursuivront chacune leurs projets solos.

De son côté, Kathleen, la chanteuse de Bikini Kill, est passée par une phase solo, sous le nom de Julie Ruin. Elle y aborde les mêmes thèmes, et ses paroles sont toujours ambiguës, comme dans la chanson « Tania » : « she holds my hand, she is my invisible friend, she holds my hand, she is my only fucking friend, Tania ». Puis, en cherchant des collaborateurs pour monter Julie Ruin sur scène, elle finit par monter un nouveau groupe avec eux. Il s’agit du groupe électro clash, Le Tigre (TKO, en live). La forme actuelle du groupe est créée par Kathleen, Johanna Fateman à la guitare et chant, et JD Samson, aux claviers et à la programmation vidéo. Malgré une évolution musicale puisant dans l’électro, l’énergie punk de son chant reste présente et les thèmes semblables. De plus, la présence de JD Samson, artiste lesbienne androgyne arborant une moustache, amène des revendications encore plus présentes sur l’appartenance à une minorité sexuelle. Dans la chanson Viz par exemple, à laquelle JD Samson a contribué :

There’s a girl,  Her lips that have never seen, She comes up, Dances on me, I look into her eyes, I say, “Hey, you’re not a dyke…”, She says, “I call it climbing, and you call it visibility, I call it coolness, and you call it visibility, I call it way too rowdy, and you call it finally free”.

JD Samson s’implique par ailleurs dans de nombreux projets, comme la scène avec Peaches et son groupe actuel MEN, ou le cinéma, en tenant un rôle dans Shortbus de John Cameron Mitchell.

A propos de Lydiane Smith

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