Le mouvement Riot Grrrl et la visibilité lesbienne

4) Autres groupes de la première scène du mouvement Riot

Pour revenir à la scène originale Riot Grrrl des années 90, d’autres groupes sont présents aux côtés de Bikini Kill, tels que Excuse 17, désigné comme un groupe de « queercore punk », ou Heavens to Betsy, qui évoquent tous les deux leurs histoires d’amour au féminin, comme dans « Me and her » de Heavens to Betsy : “I used to see her almost every day and then I didn’t, I didn’t feel so great. When we were together, I thought everything was better, now I just have to pretend I just never cared that much. I HATE HER AND I LOVE HER, you ask me why I’m getting so upset. you don’t understand a girl who’s passionate for another girl, one day I think I love her then I think I want to kill her. you tell me to calm down, what is your fucking problem? I HATE HER AND I LOVE HER”. Ah l’amour…. Mais il ne s’agit pas tant de revendications féministes, comme c’est le cas pour Bikini Kill, qu’une certaine spontanéité dans les paroles affichant de façon naturelle leur homosexualité : “she’s the one for me, she’s the one, and she can do most anything, cause she’s the jack, oh, crush girl, I love her” (in She’s the one)

Excuse 17 et Heavens to Betsy ont d’ailleurs souvent joué ensemble. Par la suite, la chanteuse et guitariste de Excuse 17, Carrie Brownstein, et la guitariste Corin Tucker de Heavens to Betsy ont fondé ensemble Sleater-Kinney en 1994. Dans ce nouveau groupe, la norme hétérosexuelle est dénoncée dans « A real man » : « don’t you wanna feel it inside, they say that it feels so nice, all girls should have, a real man, should I buy it ? I don’t wanna, I don’t wanna join your club, i don’t want your kind of love”.

Mouvement Riot Grrrl

II ) L’autre scène Riot Girl

1991 est donc l’année où le mouvement Riot Girl explose, arrivant sur le devant de la scène médiatique malgré le refus des groupes, dont Bikini Kill, de se fourvoyer dans les médias. Cette médiatisation involontaire est peut-être due au fait qu’au même moment, d’autres groupes féminins et féministes explosent également, venant parfois brouiller les pistes. Ainsi, un premier groupe formé en 1986 s’arrête en raison de la non-entente de ses trois membres : ce groupe s’appelle Sugar Baby Doll et ses trois membres vont alors former chacune un groupe féministe phare de la scène punk et rock :

– Courtney Love fonde Hole, à Los Angeles

– Kat Bjelland fonde Babes in Toyland, à Minneapolis

– Jennifer Finch fonde L7, à Los Angeles

Ces trois groupes sont régulièrement inclus dans la scène Riot Grrrl, alors qu’il s’agit d’une scène géographiquement et idéologiquement différente à l’origine. Mais il se trouve que 1991 est l’année où Bikini Kill sort l’album « Revolution Girl Style now » tandis que Hole sort « Pretty on the inside ». Les groupes de cette scène-ci sont moins ancrés intellectuellement dans les fanzines féministes, mais finissent, à partir de leurs attitudes et paroles, par attirer un large public de filles. Hole joue ainsi beaucoup sur l’ambiguïté sexuelle de leur groupe, notamment sur la relation entre Melissa auf Der Maur (bassiste) et Courtney Love (chanteuse). Paradoxalement, il semblerait que la raison du rapprochement entre ces deux scènes sous le même nom de Riot Grrrl puisse peut-être être le spectre de Nirvana : comme nous l’avons vu, deux membres de Bikini Kill ont eu une liaison avec des membres du groupe grunge de Nirvana, tandis que Courtney Love deviendra la femme de Kurt Cobain.

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Les paroles de cette deuxième scène sont aussi directes que celles de Bikini Kill, mais les groupes tendent plus, surtout Hole, vers des scènes plus importantes et une notoriété plus médiatique. De même, les paroles se font plus féministes que revendicatives en ce qui concerne l’homosexualité. Pour Hole par exemple, les paroles évoquent ainsi les violences faites aux femmes, notamment par rapport à leur notoriété (in Celebrity skin), à leur corps (in Teenage whore), aux abus dont elles sont les victimes (in The only rape I know). Le groupe se crée également une réputation à partir de ses prestations scéniques sexy et électriques mais perd au fur et à mesure son côté punk pour aller davantage vers le rock. (L’évolution est très visible au fil des années  Violet live en 1991, Celebrity skin live en 1999)

De même, L7, dont les membres s’autorisent tout sur scène (y compris jeter des tampons usagés sur le public, si si…), évoque plus des opinions féministes que l’homosexualité. Par exemple, la chanson “Shirley” évoque Shirley Muldowney, une des premières femmes à participer à des courses automobiles de dragsters. Mais les paroles féministes et l’attitude provocante des membres en font des groupes féminins incontournables. Les membres de L7 ont par la suite créé une association pour l’avortement, appelée Rock for choice.

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En ce qui concerne Babes in Toyland, le groupe repose en grande partie sur la personnalité et le look, mi-poupée, mi-trash, de Kat Bjelland. Certaines chansons à connotation féministe font partie de leur discographie, telles que « He’s my thing ». Kat Bjelland fonde par la suite Katastrophy wife, y intégrant son ex-mari puis son petit copain actuel.

Ces trois groupes (Hole, L7, Babes in Toyland) forment donc le fer de lance de cette deuxième scène Riot Grrrl, tout en restant très loin des problématiques liées aux amours homosexuelles. Mais il était important d’y jeter un coup d’œil pour mieux différencier les deux facettes du mouvement. De plus, cette scène, même si elle n’a abordé que des sujets sans lien direct avec l’homosexualité, a tout de même attiré un large public de filles, dont de nombreuses lesbiennes. Enfin, comme tout se recoupe dans le petit monde de la musique féministe, Joan Jett, également parfois nommée « The Original Riot grrrl », a sorti un album en 1994 composé avec la participation des chanteuses de L7, Babes in Toyland et Bikini Kill, regroupant ainsi sous son égide la quasi-totalité des têtes pensantes du Riot Grrrl.

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III ) Conclusion

Comme nous venons de le voir, le mouvement Riot Grrrl est donc divisé en deux scènes féministes, l’une plus revendicative que l’autre au niveau de la visibilité lesbienne. Cependant, ce sont ces deux scènes qui ont permis l’émergence de groupes, dont plusieurs entièrement féminins, qui ont profité de l’occasion pour dire haut et fort ce qu’ils pensaient de la condition de la femme, qu’elle soit hétéro, homo, bisexuelle ou transgenre. Ces groupes ont fédéré un public de filles qui a pu se réapproprier ces paroles et cette vision des genres. Parmi elles, certaines ont à leur tour formé des groupes de musique plus récemment, et ont souvent poussé les revendications plus loin encore. La scène Riot Grrrl a ainsi permis l’émergence d’une réelle scène musicale lesbienne par la suite, notamment à travers la création des premiers labels et festivals promouvant plus particulièrement des groupes lesbiens ou féminins.

En parallèle, beaucoup d’autres groupes actuels se revendiquant de cette scène n’ont pas les références féministes, ou liées à la culture lesbienne, que possédaient une partie du mouvement Riot Grrrl. De même, il existe une certaine tendance actuelle à labelliser tout groupe avec une femme comme digne héritière des Riot Grrrls. Pourtant, ces dérives par rapport au sens premier du mouvement permettent de réaliser l’importance de l’émergence de ces quelques groupes dans un paysage musical très masculin.

En revanche, certains groupes actuels ont totalement gardé l’esprit Riot Grrrl originel. Par exemple, Gossip : ce groupe, dont la chanteuse et la batteuse sont ouvertement lesbiennes, se revendique ainsi clairement de cette scène, et l’énergie brute est très semblable à celle de Kathleen de Bikini Kill au niveau du chant, ainsi qu’au niveau du minimalisme musical et de l’efficacité rythmique (Gossip en live, qui glisse un passage de Rebel girl des Bikini kill dans leur chanson). D’autres groupes revendiquent aussi cette influence, mais ont opté pour une musique plus électro, comme Peaches ou Lesbians on Ecstasy. Ces dernières, par exemple, reprennent de nombreux samples de chanteuses lesbiennes populaires à la sauce électro, faisant même la première partie des concerts de Le Tigre, le nouveau groupe de Kathleen Hanna de Bikini Kill. Et voilà, la boucle est donc bouclée, jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de femmes énervées vienne prendre le relais et soulever d’autres questions…

A propos de Lydiane Smith

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