Emily Dickinson (1830-1886)

Quoi qu’il en soit, au début des années 1860, elle cesse d’aller à l’église et s’affranchit totalement de la bigoterie de ses parents. Elle écrit en quatre ans, de 1862 à 1866, un tiers de son œuvre poétique. À la fin des années 1860, elle décide de ne s’habiller qu’en blanc. Voici ce qu’elle écrit à son mentor, Thomas W. Higginson, le 25 avril 1862 :

 « Vous me demandez mon âge ? Je n’ai pas écrit de poème — excepté un ou deux — avant cet hiver — Monsieur —

J’avais une terreur — depuis septembre — que je ne pouvais dire à personne et donc je chante, comme le Garçon près du cimetière — parce que j’ai peur — Vous vous enquérez de mes Livres — Pour Poètes — j’ai Keats — et M. and Mrs. Browning. Pour prose — M. Ruskin — sir Thomas Browne — et l’apocalypse. J’ai fréquenté l’école — mais pour reprendre votre formule — n’ai pas eu d’éducation. Petite fille, j’avais un ami, qui m’a enseigné l’Immortalité — mais s’étant aventuré trop près d’elle, lui-même, — il n’est jamais revenu — Peu après, mon tuteur est mort — et pendant plusieurs années mon Lexique — a été mon seul compagnon — Puis j’en ai trouvé un autre — mais il ne s’est pas satisfait que je sois son élève — et il a quitté le Pays.

Vous me demandez quels sont mes compagnons : les Collines — Monsieur — et le couchant — et un Chien — aussi grand que moi — que mon Père m’a acheté — Ils valent mieux que des Êtres — parce qu’ils savent — mais sont muets — et le bruit dans la Mare, à Midi — surpasse mon piano. J’ai un Frère et une Sœur — ma mère ne se soucie pas de la pensée — Père, trop absorbé par ses Dossiers — pour remarquer ce que nous faisons — Il m’achète beaucoup de Livres — mais me supplie de ne pas les lire — car il craint qu’ils n’ébranlent l’Esprit. Ils sont religieux — sauf moi — et chaque matin, s’adressent à une Éclipse — qu’ils appellent leur “Père”. Mais j’ai peur que mon conte ne vous lasse — je voudrais apprendre — Pourriez-vous me dire comment grandir — ou est-ce intransmissible — comme la Mélodie — ou la Magie ? »

Pour les critiques, Emily Dickinson est un paradoxe : géniale inconnue ; ironique et douce ; timide et audacieuse ; folle passionnée et intellectuelle recluse. Sa vie semble une méditation sur l’absence, la mort et la hantise. Surtout, comment expliquer la force érotique et l’élan amoureux de ses poèmes si elle n’a jamais éprouvé de grande passion contrariée ? Aucune preuve n’existe d’une éventuelle vie sexuelle, aussi bien avec des hommes que des femmes.

En 1864, elle se rend chez ses cousines près de Boston pour se faire soigner les yeux. En 1874, son père décède et l’année suivante, sa mère subit une attaque qui la paralyse. C’est en 1877 qu’elle rencontre peut-être l’homme de sa vie. Elle forme des projets de mariage avec le juge Otis P. Lord, un veuf, ami de son père, beaucoup plus âgé qu’elle. Un amant ? Un père de substitution ? Le mariage est trop tardif : il ne se fait pas. Le juge décède en 1884, deux ans après sa mère et un an après Gilbert, le troisième et dernier enfant de Susan et Austin. Emily sombre dans une dépression nerveuse.

Elle meurt à l’âge de 56 ans de la maladie de Bright (une insuffisante rénale chronique). Susan prépara son corps pour les funérailles et se chargea de l’hommage funèbre. Elle lui survécut 27 ans encore et voyagea beaucoup en Europe. Elle garda toutes les lettres qu’Emily lui avait envoyées en 36 ans.

En 1890, quatre ans après la mort d’Emily, ses amis publient une partie de ses poèmes. Sa sœur Lavinia avait découvert sous son lit, le jour de sa mort, une boîte contenant 700 poèmes. Le succès est immédiat et il y eut onze rééditions entre 1890 et 1892. Les lettres sont publiées en 1894.

Cette vie dégage une étrange impression pour toute femme contemporaine qui la découvre : tant de talents enfouis, non reconnus, une vie bornée et la prise de conscience précoce qu’en tant que femme, elle ne devait pas attendre autre chose que le mariage. Vivre librement, elle ne pouvait le faire qu’en restant chez elle…

Pour vous amuser, quelques liens :

www.rhizomes.net
Emily décodée par son thème astral…:
www.astrotheme.fr
www.emilydickinsonmuseum.org
womenshistory.about.com

(1) La première lettre échangée qu’Emily adresse à Susan date de 1846. Peut-être s’étaient-elles croisées avant…

(2) Elle le nomme Carlo et le conserva jusqu’à la mort de l’animal en 1865.

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