Une Histoire de l’Homosexualité en Afrique est-elle possible ?

En 1936, dans son livre Mœurs et coutumes des Bantous, le socio-anthropologue français A. Junod écrivait :

DEUX VICES très répandus dans les sociétés civilisées : onanisme et sodomie, étaient entièrement inconnus avant l’arrivée de la « civilisation ». Il n’en est malheureusement plus ainsi.

Il supposait ainsi, avec d’autres, que l’homosexualité en Afrique n’était qu’un produit d’importation et que ce « vice », tel qu’il le voyait, était étranger et contraire aux « traditions africaines ». Encore ne parle-t-il pas d’homosexualité mais de sodomie qui n’est pas une identité sexuelle mais une pratique sexuelle. Aujourd’hui, l’Afrique est un des continents où l’homosexualité est la plus criminalisée et pénalisée (dans 38 États sur 53). Seule l’Afrique du Sud a légalisé les mariages entre personnes de même sexe en 2006 mais les faits divers récents montrent que même dans ce pays, les viols correctifs de lesbiennes sont monnaie courante.

Au XIXe siècle, les explorateurs et les missionnaires qui ont colonisé l’Afrique ne se sont pas vraiment intéressés aux questions de sexualité mais plutôt aux questions de mariage et notamment à la polygamie. Ils voyaient principalement les Africains comme des « bêtes de sexe », des débauchés à la sexualité incontrôlée. À la fin du XIXe siècle cependant, dans les métropoles, les premiers sexologues tels Havelock Ellis émettent l’hypothèse d’une homosexualité identitaire qui serait innée et qui serait donc une création de la Nature. L’Afrique, considérée par les Européens de l’époque comme plus proche de l’état de nature, serait-elle donc le territoire idéal d’observation et de preuves pour ou contre la théorie de l’homosexualité naturelle ? Rien n’est moins sûr…

Selon le sociologue camerounais Charles Gueboguo, l’homosexualité au sens où nous la concevons en Occident est bien sûr une production culturelle de l’Occident. C’est pendant la phase de la colonisation de l’Afrique (principalement à la fin du XIXe siècle) que l’homosexualité est apparue en tant que catégorie et en tant que crime. Cela a eu pour conséquence de rendre invisible l’homosexualité des Africains qui n’est redevenue visible qu’à partir des années 1980 autour de l’enjeu représenté par l’épidémie du SIDA, considérée dans ces années comme la maladie des homosexuels et des drogués. Le problème que se posent donc les chercheurs est de savoir s’il existe une conception non-occidentale et pré-coloniale de l’homosexualité en Afrique. Ce qui nous amène à la question des sources et des documents : que sait-on de l’Afrique avant les archives coloniales ? Peu de choses et elles nous viennent des enquêtes des ethnologues et des anthropologues européens à partir des années 1930 qui se sont surtout intéressés aux structures familiales et de pouvoir dans différentes régions. Or, ces chercheurs de terrain ont fait des découvertes qui les ont surpris. En voici quelques-unes parmi celles que j’ai pu trouver.

L’ethnologue britannique Eileen Krige et son mari ont enquêté pendant près de 40 ans sur le peuple des Lovedu qui régnait dans une région au Nord du Transvaal, entre le XVIIe siècle et l’arrivée des colons en 1894.

Homosexualité en Afrique

Ils ont mené des enquêtes de terrain entre 1928 et 1939, puis à nouveau entre 1964 et 1970. Ils ont ainsi découvert l’existence d’un pourcentage élevé de mariages entre femmes dont on ne trouve pas la trace dans les statistiques officielles qui ne les reconnaissent pas. Il y aurait eu 37% d’unions de femmes dans la capitale et 5% à l’extérieur de la capitale des Lovedu. Ils ont aussi découvert la dynastie des Reines de la Pluie, les Modjadji, dont la lignée matrilinéaire aurait commencé en 1800. Ces Reines n’ont pas le droit d’épouser un homme. Elles prennent donc des femmes qu’elles épousent et en ont plusieurs, ce qui montre leur puissance. Elles et leurs épouses vivent ensemble dans l’enclos royal (kraal) et ont des enfants dans le plus grand secret avec des hommes qui n’ont aucune place dans la lignée et qui ne sont que des reproducteurs.

Homosexualité en Afrique

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