La Secte des Anandrynes

En 1770, à Paris, aurait existé une secte des Anandrynes fondée par Thérèse de Fleury et dirigée par la comédienne Françoise de Raucourt. Le mot « anandryne » est un terme savant, utilisé plutôt dans le vocabulaire biologique, pour désigner des femelles « privées de mâles ». La secte des Anandrynes serait donc une sorte de loge maçonnique secrète rassemblant des lesbiennes, ou plutôt des tribades (car le mot « lesbiennes » n’existe pas encore), qui ont fait serment d’être les ennemies des hommes et qui cherchent à se passer d’eux.

Le récit des activités occultes de ce groupe est révélé par un texte publié en 1784 en 500 exemplaires dont l’auteur déclaré est Mathieu-François Pidansat de Mairobert, un espion au service de la famille des Choiseul, mort quelques années plus tôt en 1779. On trouve également des allusions à ce groupe dans divers pamphlets de l’époque, certains étant signés par le comte de Mirabeau.

La première historienne à faire état de ce dossier curieux est Marie-Jo Bonnet en 1995 dans Les Relations amoureuses entre femmes du XVIe au XXe siècles, paru chez l’éditeur Odile Jacob. Ce livre est la version remaniée de sa thèse d’histoire soutenue en 1981. Depuis ce livre, la secte des Anandrynes a fait l’objet d’autres analyses et commentaires. Aujourd’hui, la « secte des Anandrynes » éclaire surtout les historiens sur le contexte politique et culturel des dernières années de l’Ancien Régime.

De quoi s’agit-il ?

Sans doute faut-il rappeler que le XVIIIe siècle français est le siècle d’épanouissement du libertinage pour les élites sociales qui ne représentent qu’une frange très étroite de la société française (la noblesse ne représentant que moins de 1% de la population française). De plus en plus de textes érotiques, proches du style épistolaire ou du théâtre, sont publiés (souvent à l’étranger) et diffusés pour être lu parfois collectivement dans des salons aristocratiques et mondains. Des théâtres d’amour se mettent en place dans les hôtels particuliers parisiens. Des seigneurs libertins se livrent à des orgies dans leurs châteaux de province. À la cour de Versailles même, la jeune Reine de France, Marie-Antoinette aime à se distraire avec ses favori(te)s.

Depuis le règne de Louis XV en France, une police des mœurs, d’abord dirigée par Sartine, surveille les liaisons des Grands de ce royaume pour le compte du roi de France. Des grands seigneurs font aussi espionner leurs congénères. Un grand nombre d’affaires, concernant les mœurs, éclatent au grand jour à partir des années 1770, à la fin du règne de Louis XV et au moment où Marie-Antoinette et le jeune roi de France Louis XVI montent sur le trône. De plus en plus d’affaires touchent directement le trône de France.

La première affaire qui peut être mentionnée concerne Mme Marguerite Stock, épouse Gourdan, considérée comme la plus grande entremetteuse du siècle. Mme Gourdan, espionnée par Pidansat de Mairobert, a ouvert un premier établissement de prostitution à Paris en 1759, rue Sainte-Anne. Ses affaires étant prospères, elle peut agrandir sa maison close et l’installer dans un nouveau quartier en 1763, rue Comtesse d’Artois. Mais son « commerce » change vraiment d’ampleur en 1773 après son passage à l’Hôpital de Bicêtre où elle rencontre Justine Paris, une autre entremetteuse. Toutes deux s’allient pour ouvrir un établissement d’un type nouveau installé à l’angle de la rue Saint-Sauveur et de la rue des Deux-Portes. Il s’agissait d’offrir aux clients des services pour tous les goûts aussi bien sur place et en toute discrétion qu’à domicile ou lors de sorties. La police des mœurs découvre ainsi, dans ses carnets de clients, des femmes de la meilleure société qui recherchent des femmes pour leur plaisir. Parmi ses clientes, figure ainsi une certaine Mme de Fleury, considérée par Mathieu-François Pidansat de Mairobert comme la fondatrice de la « secte des Anandrynes », qui recrute ses membres un peu comme Mme Gourdan recrutait ses « filles ».

Cette Mme Fleury est l’épouse d’un procureur général au service de l’intendant des Finances du royaume Maupéou. Dans le pamphlet de Mathieu-François Pidansat de Mairobert, elle apparaît sous les traits à peine déguisés de Mme de Furiel, celle qui découvre la jeune Sapho et l’initie à la secte des Anandrynes (la secte des sans-hommes) dirigée, selon ce même texte par Mme de Raucourt.

Dans les années 1770, Françoise de Raucourt est une actrice de la Comédie Française, née sans doute à Paris en 1756. Elle débuta dans ce théâtre dans le rôle de Didon, Reine légendaire de Carthage éperdument éprise d’Énée.

Secte des anandrynes

Coqueluche du public et notamment des belles dames de la ville et de la Cour, elle était couverte de cadeaux. Elle faisait ouvertement état de ses maîtresses et vivait largement au-dessus de ses moyens. En 1776, elle fut emprisonnée pour dettes et chassée de la Comédie Française. Elle n’y revint qu’en 1779 grâce au soutien de Marie-Antoinette qui lui accorda sa protection, ce qui fut immédiatement considérée comme suspect. D’après certains témoignages émanant d’hommes, elle était souvent travestie en homme, vivait avec son amie Mme Simonet et organisait chez elle des soirées orgiaques. C’est aussi chez elle qu’étaient supposées se tenir les séances de la secte des Anandrynes.

Secte des anandrynes

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