Adélaïde Dufrénoy, la Sapho Française ?

Adelaïde Dufrénoy

Il y a de bonnes chances que ce nom délicieusement démodé d’Adélaïde Dufrénoy ne vous dise rien et qu’il vous semble donc étrange d’appeler du nom prestigieux et sulfureux de Sapho une totale inconnue au bataillon ! C’est pourtant bien ainsi que les contemporains de cette Dame, au XVIIIe siècle, l’ont qualifiée à la fois pour souligner sa prolixité poétique mais aussi laisser planer le soupçon de « mœurs douteuses ». Très connue à son époque, publiée, saluée par l’Académie française en 1814, elle a depuis intégré les placards des poètes de seconde zone et ne figurent plus au rang des premières muses. Qui est donc Adélaïde Dufrénoy et quelle histoire nous raconte son parcours ?

Adélaïde-Gilette est née Billet en 1765 : son père était joaillier à la Cour de Pologne, au service du roi nouvellement élu, Stanislas II, de la dynastie des Poniatowski. Il était aussi le fournisseur d’un certain nombre de grandes familles françaises. D’après le Mercure de France qui publie la notice dont on chapeautait ses textes et qui fut rédigé par Antoine Jay (académicien et parent par alliance), elle serait née à Paris, rue du Harlay, le 3 décembre 1765. Disposant d’une fortune considérable et sorte de « Bourgeois gentilhomme » libéral, c’est-à-dire ami des arts, il recevait chez lui quelques beaux esprits et l’on y entendait donc des discussions politiques et littéraires de qualité, relevant du propos de ville et de cour. Jacques Billet donna une bonne éducation à sa fille qui apprit le latin et la versification avec des précepteurs privés et notamment avec son cousin, Jean-Louis Laya, auteur dramatique et critique littéraire reconnu. Le Dictionnaire de la conversation et de la Lecture prétend que son père aurait préféré un fils, manière d’expliquer une éducation très inhabituelle pour une jeune fille et peut-être aussi d’expliquer ses penchants « supposés ». La voici aux côtés de sa cadette de 5 ans, Anne-Sophie.

Adelaïde Dufrénoy

Cependant, il ne voulait pas en faire une précieuse ridicule trop choyée par son épouse et il l’envoya donc dès l’âge de 14 ans chez sa sœur, la Mère Saint-Félix, la tante de la jeune Adélaïde, qui dirigeait un couvent de Sœurs Hospitalières à la Roquette, à Paris. Comme beaucoup de jeunes filles de son âge peut-être, elle s’y rêva en sainte, cueillant la palme du martyr. Des rêves de gloire en somme ?

Elle ne resta pas longtemps au couvent, puisque l’année suivante, âgée tout juste de 15 ans, elle fut donnée en mariage à un riche Procureur du Châtelet de Paris, veuf, de 26 ans son aîné.

Adelaïde Dufrénoy

Il va de soi qu’il s’agissait d’un mariage parfaitement arrangé : mariage sans empressement ni répugnance. Simon Petit Dufrénoy était un homme d’esprit et de plaisirs qui menait grand train et recevait beaucoup chez lui : la fortune de l’aînée du joaillier ne fut sans doute pas mince. L’homme n’était pas un mauvais parti. Voltaire à la fin de sa vie lui confia quelques affaires à résoudre et fit de lui un portrait plutôt flatteur (de circonstance peut-être). Dans sa jeunesse, Simon avait acheté en 1766 la charge vénale de procureur du Châtelet pour la somme coquette de 28 100 livres et avait eu de son premier mariage deux filles qu’il avait marié bourgeoisement. Cet homme veuf gâta beaucoup la jeune Adélaïde. Il lui permit de faire tout ce qu’elle souhaita. Entre 1780 et 1789, la jeune Mme Dufrénoy fit donc ses débuts dans la vie mondaine en tenant chez elle un salon littéraire très bien fréquenté et se lança dans la carrière des belles-lettres dès 1787, en publiant un premier poème dans le périodique L’Almanach des Muses. Elle en devint une des contributrices les plus assidues. Peu charmée par son vieil époux, elle se serait éprise de Fontanes, un écrivain qui faisait son admiration et qui fréquentait le salon.

La Révolution fit perdre sa situation (procureur du Châtelet, une institution qui ne survécut pas aux changements institutionnels de l’époque) et surtout sa fortune à son époux : Simon Petit-Dufrénoy, fidèle à l’Ancien Régime, préféra fermer son étude située quai de l’École plutôt que de prendre le titre d’avoué comme le firent 81% de ses confrères. Adélaïde, fidèle à la monarchie et hostile à tous les excès, fut considérée comme suspecte de modération. Au début de l’année 1792, quelques mois avant l’arrestation du Roi à Varennes, elle s’éloigna donc de Paris, d’autant qu’elle était enceinte et que la vie parisienne devenait dangereuse : elle goûta donc aux charmes forcés de la retraite à la campagne, mais à quelques lieues seulement de Paris, à Sevran, près de Livry. Elle y accueillit quelques proscrits royalistes pour la plupart, dont M. de Fontanes, qui trouva refuge chez elle alors qu’il était recherché par le Comité de Salut Public en 1793. Si le couple ne fut pas inquiété, c’est grâce au réseau du mari de la sœur d’Adélaïde, Jean Hesmart, qui commandait une division de gendarmerie nationale et devint commandant de la force armée de Paris le 9 thermidor, à la chute de Robespierre.

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