Le Mythe Troublant de Callisto et d’Artémis

Selon ce mythe, très étrange, que raconte Ovide dans le livre II des Métamorphoses (écrit au premier siècle de notre ère), la nymphe des bois Callisto (ce qui signifie « la plus belle » en grec) était au service de la déesse de la chasse, Artémis. Celle-ci avait imposé à sa favorite de rester chaste, comme à toutes ses suivantes. Or un jour, Zeus vit Callisto et tomba sous son charme. Comme à son habitude, il voulut la séduire et en profiter. Il décida alors de se transformer en Artémis pour pouvoir l’approcher et la séduire. Le stratagème fonctionna semble-t-il parfaitement, et quand Callisto ne pouvait plus lui échapper, il se révéla à elle. Le malheur voulut pour Callisto qu’elle tomba immédiatement enceinte.

Pour ne pas être chassée du cortège d’Artémis, la belle nymphe voulut cacher sa grossesse à sa maîtresse, mais celle-ci la découvrit cependant au cours d’un bain avec ses suivantes. Le mythe raconte qu’Artémis en devint folle de rage mais ne tua pas Callisto : elle se contenta de la chasser.

Callisto accoucha seule d’un enfant, Arcas, bâtard de Zeus. En l’apprenant, Héra, l’épouse jalouse de Zeus, transforme alors la belle nymphe en terrible ourse. C’est sous cette forme qu’elle est tuée involontairement par son propre fils, alors âgé de 15 ans, qui ne la reconnut pas. Le mythe raconte alors que Zeus prit pitié de Callisto et de son fils et qu’il les transforma en astres qui prirent le nom de Grande Ourse et Petit Ours.

Si cet « amour », qui semble à peine en être un, ne triompha pas et si le mythe le transforme en une histoire des plus singulières au dénouement fatal, il n’en demeure pas moins l’une des premières représentations de l’amour entre femmes. Certes, Artémis ou Diane (son nom dans le panthéon romain) n’est pas une divinité lesbienne, mais elle représente le monde sauvage et elle est la jumelle d’Apollon. Il y a du mâle en elle. Elle est chaste, refuse obstinément le mariage et elle est dangereuse. Le berger Actéon, qui la surprend au bain, en fait les frais : il est immédiatement transformé en cerf. Artémis est enfin la déesse protectrice des Amazones, des guerrières au sein coupé que Monique Wittig et Sande Zeig présentèrent comme des héroïnes viriles, marginales et violentes dans Brouillon pour un dictionnaire des amantes (1976).

Quant à Callisto, son histoire n’est pas vraiment creusée. Son ascendance même est mystérieuse : est-elle la petite-fille de Poséidon ? Ou la fille d’un roi d’Arcadie ? Dans le texte d’Ovide, elle est présentée comme une femme-soldat, portant une simple robe fixée par une épingle, un bandeau blanc dans les cheveux et tenant dans sa main tantôt un arc, tantôt un javelot. C’est au repos dans une forêt vierge où elle est seule avec ce qu’elle croit être la déesse qu’elle cède. Ovide met dans sa bouche de la flatterie : Callisto croit Artémis plus puissante que Zeus. Elle accepte aussi « des baisers, bien peu réservés et bien peu convenables pour une vierge ». Il est écrit que c’est pendant l’acte que Zeus se trahit.

Son sort est celui d’une fille de la Grèce : elle subit la double voire triple peine du viol, du bannissement et de la revanche de l’épouse jalouse et outragée. Pour autant, le fait qu’elle accepte les baisers et les caresses d’Artémis semble témoigner qu’elle n’est pas insensible à l’intérêt de la déesse. Est-ce la reconnaissance à mots voilés d’un amour qui ne dit pas son nom entre femmes dans la Grèce archaïque ?

Dans d’autres versions du mythe, celle d’Apollodore par exemple, la transformation de Zeus en Artémis, c’est-à-dire d’un homme en femme, même par ruse est choquant. On prétend donc que Callisto aurait cédé au frère jumeau d’Artémis, c’est-à-dire le bel Apollon (né un jour après sa sœur). Dans cette tradition du mythe, ce n’est également plus Arcas qui tue Callisto transformée mais Artémis elle-même, la déesse de la chasse, outragée par la faute de Callisto.

La signification de la transformation de Callisto en ourse pose aussi des problèmes intéressants, car chez les Grecs, notamment les Arcadiens, l’ours est l’animal favori d’Artémis. Il symbolise la virginité. Les jeunes filles attiques entre cinq et dix ans étaient dites arkta, ourses, et célébraient, vêtues en ourses, le culte d’Artémis de Brauron, déesse ursine.

La première scène du mythe privilégiée par la peinture est la découverte de la grossesse de Callisto par la déesse Artémis : c’est une scène de disgrâce qui peut aussi être lue comme une scène de jalousie ou de trahison. Artémis y apparaît comme une déesse cruelle et terrible.

Titien la peint pour le Palais du Prado à Madrid. Aucune tendresse n’émane de l’inflexible Artémis qui pointe un doigt accusateur sur la fragile Callisto, démasquée.

Artemis et Callisto

Voici comment François Le Moyne traite la scène au XVIIIe siècle.

Artemis et Callisto

L’érotisme est discret. La mythologie permet alors de peindre des femmes nues sans être accusé de pornographie ou d’immoralité. Les couples de femmes ne font alors pas penser à des relations entre lesbiennes.

La relation entre Callisto et Artémis devient cependant peu à peu un thème érotique pour les artistes à partir de la Renaissance, le titre insistant toujours sur le travestissement féminin de Zeus, présent dans la scène sous forme d’un aigle. Le public des Princes, mécènes des artistes de la Renaissance, permet des audaces.

Dans le deuxième quart du XVIe siècle, vers 1520, le graveur Pierre Milan réalise une estampe inspirée de Primaticcio sur le thème de la séduction de Jupiter sous les traits de Diane (les noms romains des dieux Zeus et Artémis).

Artemis et Callisto

Rubens, en 1613, transforme la déesse Artémis en femme tendre, émue par la beauté de Callisto. Même si Zeus est clairement présent dans la scène, sous les traits d’un aigle, le dédoublement ouvre l’espace à d’autres lectures.

Artemis et Callisto

Au XVIIe siècle, le thème semble devenir assez populaire. On le découvre traité par l’artiste flamand Gerrit Van Honthorst (1590-1656).

Artemis et Callisto

Répondre