Bye Bye Blondie : Interview de la scénariste et réalisatrice Virginie Despentes

Bye Bye Blondie : Interview de la scénariste et réalisatrice Virginie Despentes

Interview accordée à Julia Clieuterpe le 26 Mars 2012 pour le site Univers-L.com

Votre film Bye Bye Blondie sort en salle le 21 mars. Vous avez-vous-même réalisé l’adaptation cinématographique de votre roman et avez choisi de transformer l’histoire d’amour hétérosexuelle en histoire homosexuelle. Dans quel contexte cela s’est-il fait ? Quels enjeux cela représentait-il pour vous ?

C’est lié à une rencontre, avec Béatrice Dalle. Elle savait que j’étais avec une fille, connaissait ma copine, et à un moment donné m’a dit : « Tu galères pour trouver un acteur, pourquoi ne pas penser à une histoire de filles ? ». Je n’y avais pas pensé, c’était au tout début de l’écriture du scénario. Dès qu’elle m’a dit ça – je me souviens bien de ce moment –, le projet a pris un sens différent.
Pour moi, tout ce qui touchait aux années 80 ne posait pas de problème, mais dès qu’on arrivait dans le contemporain je ne voyais pas ce que je pouvais apporter de plus en racontant une histoire d’amour entre un homme et une femme. Ça a déjà été fait un milliard de fois ! Pourtant, lorsque j’ai envisagé une intrigue lesbienne, l’histoire a pris un sens total : il y en a beaucoup moins, je pouvais apporter quelque chose de nouveau. Je trouve que depuis dix ans il y a de moins en moins de romances lesbiennes. Dans les années 80 et 90 on avait l’impression qu’il y en aurait régulièrement, un peu mainstream, ou en tout cas sur tous les écrans – et pas seulement dans quelques salles perdues en France –, il y avait des films comme Bound, etc… En 2000 il y a encore eu If These Walls Could Talk 2, puis d’un coup ça s’est totalement arrêté. Dans ce cadre là, j’ai vu à quel édifice je pouvais apporter ma pierre. Ça prend aussi un sens pour moi, dans ma vie personnelle, parce que ça fait sept ans que je suis dans une histoire avec une fille, ça change ma sensibilité, ma perception, et les choses que j’ai envie de voir au cinéma.

Pensez-vous qu’envisager une histoire de différence sociale au sein d’une relation amoureuse – ce qui constituait l’intrigue principale de Bye Bye Blondie – dans un cadre homosexuel change la donne ?

Oui, mais je pense que ce thème a déjà été relativement exploité, il reste récurrent dans la filmographie lesbienne, comme dans When Night is Falling ou High Art… La thématique sociale est un classique de la petite et courte histoire du cinéma lesbien.
Le couplage qui m’a semblé le plus intéressant était celui avec la nostalgie, ou bien avec le punk. Le lesbianisme est un des grands axes du film, mais puisqu’à l’origine il s’agissait d’une histoire hétérosexuelle, on peut facilement basculer entre les deux. Ça signifie que l’homosexualité est une des problématiques du film, mais ça n’est pas son sujet central. L’histoire lesbienne est regardée exactement comme on regarderait une histoire hétéro : c’est une comédie romantique, avec un happy end. Et je pense qu’un film lesbien avec un happy end, ça fait du bien ! Il ne faudrait pas que ça, mais c’est une bonne chose.

Vous êtes à la fois l’auteure et la réalisatrice de Bye Bye Blondie. Avez-vous rencontré des difficultés ou au contraire des facilités à passer d’un travail à l’autre ?

Je trouve les deux choses très différentes. Dès l’écriture du scénario, ce n’est pas du tout le même exercice. La façon de raconter l’histoire, les problèmes rencontrés, tout ça n’a aucun rapport. Même si le résultat pour les gens est le même ! Entre s’assoir dans une salle de cinéma et ouvrir un livre, il y a quelque chose de similaire.
Mais l’avantage d’être l’auteure du livre et du film, c’est la liberté. Je n’ai pas à me demander l’autorisation de tout casser : c’est chez moi, je fais ce que je veux ! J’ai une idée très nette de ce qui m’intéresse ou pas. Personne n’a à me dire : « Comment ça, Eric est devenu une fille ?! ». Oui, si je veux ! Je ne trahis personne d’autre que moi-même.

Pour vous, ce film constitue-t-il une œuvre totalement nouvelle, ou le percevez-vous plutôt comme une continuité, l’incarnation de ce que vous aviez en tête en écrivant le livre ?

C’est quelque chose de nouveau. Par exemple, je n’imaginais pas en écrivant le livre le personnage de Gloria tel que Béatrice Dalle l’incarne. J’ai beaucoup retravaillé ce personnage en fonction de la comédienne. Par exemple, Gloria dans le livre est beaucoup violente, mais moi-même je n’avais pas envie de voir Béatrice Dalle énervée pendant une heure et demie à l’écran. Ça aurait été franchement effrayant et ce n’était pas ce que je voulais. Et puis je ne voulais pas que l’histoire d’amour soit totalement conflictuelle. Les disputes dans un couple, c’est normal, mais j’avais envie d’une histoire où ce ne soit pas trop dur d’être lesbienne ! (rires)
Donc j’ai beaucoup adapté les personnages aux comédiens. De même, le personnage incarné par Pascal Greggory a pris une envergure nouvelle parce que je suis tombée totalement sous le charme de l’acteur et que j’ai adoré travailler avec lui.

Vous aviez donc une idée de la distribution avant même la rédaction du scénario ?

Oui, pour tous les adultes. J’ai écrit en pensant à Emmanuelle Béart, mais quand j’ai su que ce serait vraiment elle, j’ai pu réécrire entièrement le scénario pour préciser les choses autour de son personnage. De même quand Pascal Greggory nous a rejoints, j’ai retravaillé l’intégralité de ses parties.
Pour moi c’est l’un des intérêts du cinéma : travailler avec des corps physiques, des personnes vivantes. On voit ce qu’on a envie et ce qu’on a la possibilité de leur demander. Par exemple, Gloria dans le livre doit écrire. Mais j’ai essayé d’imaginer Béatrice Dalle devant une machine à écrire pendant deux secondes, et je me suis dit que c’était impossible, ça ne m’intéressait pas ! Je préférais l’imaginer avec un marteau, c’est pour ça qu’elle est devenue artiste plastique dans le film.

Avec ce film, vous visez un public très large ?

Je le vise. Ça ne veut pas dire que je l’atteindrai.
J’avais envie de faire un film qui ne soit pas diffusé que dans les festivals gays et lesbiens, avec tout le respect que j’ai pour eux, ça n’est pas une critique. Mais je voulais me confronter à la réaction des gens. En même temps, si jamais le film ne pas plaît pas aux lesbiennes, si elles ne se sentent pas du tout concernées par mon propos, ce serait un échec total. Le film se veut mainstream, mais il y a toujours un public numéro un visé, et ici c’est évident les lesbiennes et les gens qui ont écouté du punk.

Et peut-être aussi ceux qui vous ont lue et attendent maintenant votre adaptation ?

Oui, aussi. Mais avec eux, c’est un autre type de pacte. Je pense avoir le droit de faire parfois quelque chose qui ne leur plaît pas, et eux peuvent ne pas aimer ce que j’ai fait. L’attente est différente.

Concernant la question de l’homosexualité dans le film, l’affiche elle-même est très claire, le lesbianisme n’est absolument pas caché. Vous ne craignez pas que ce soit un frein à la diffusion du film ?

Si je veux atteindre mon public, il faut que les choses soient faites honnêtement. Avancer masqué ne servira à rien. Je fais confiance à l’intelligence des spectateurs, je pense que les gens sont moins cons, moins fermés et moins obtus que ce qu’on veut nous faire croire.
Pourtant je constate que la presse féminine est beaucoup moins à l’aise avec ce film qu’avec mon travail habituel, même pour des magazines comme Causette. Bien sûr ce type de presse ne dira jamais qu’elle adopte cette attitude critique pour éviter d’être perçue comme féministe gouine, mais le fait est qu’un film lesbien leur fait peur.
Voir les réactions que suscite le film m’intéresse beaucoup, parce que c’est une première pour moi. Même si Apocalypse Bébé avait un fort composant lesbien, on en a assez peu parlé et je suis donc curieuse de connaître l’accueil réservé au film.

Revenons sur l’ensemble de votre œuvre, et particulièrement sur l’œuvre littéraire. Votre regard sur l’homosexualité féminine et la représentation lesbienne a beaucoup évolué au fil du temps, de vos premiers romans jusqu’à Apocalypse Bébé, le dernier en date. Au-delà de l’influence de votre vie privée, est-ce également dû à des lectures ou à des rencontres que vous avez pu faire ?

Oui, mon regard a évolué. Pourtant, pour vous donner un exemple, la première communauté dans laquelle Baise-Moi – le livre – a été bien accueilli et dans laquelle je me suis sentie vraiment bien en arrivant à Paris, c’est la communauté lesbienne. Dès le début, le livre a pris une valeur auprès d’elles… Comme si tout de suite, Baise-Moi avait « appartenu » aux lesbiennes. Pareil pour le film : l’endroit où il a été le mieux défendu a été chez Nicole. La sortie du film avait été très difficile et il n’a été vraiment bien reçu que là-bas, avec un public près à parler, qui voit ce qui a été fait.
Donc effectivement, mon regard a changé, mais il ne faut pas oublier que mes premières rencontres avec des groupes, à mon arrivée à Paris, ont eu lieu avec des lesbiennes, juste avant le punk. C’est par Ann Scott que je suis rentrée dans ce milieu et ça a été un déclic évident. Donc les rencontres, je les ai faites assez tôt et j’avais déjà commencé à approcher la culture. Le fait qu’ensuite je tombe amoureuse d’une fille, puis me mette avec une autre fille et reste avec elle sept ans a aussi tout changé pour moi. En plus, être avec Beatriz Preciado, ça aide à développer sa culture lesbienne ! Ce n’est pas simplement « être lesbienne », avec elle la culture j’en entends parler (rires). Beatriz change tout pour moi. Vivre avec elle a une réelle influence, ça se sent dans Apocalypse Bébé, dans l’adaptation de Bye Bye Blondie, mais aussi dès King Kong Théorie.

Il y a une réelle progression de la visibilité lesbienne dans vos œuvres. Dès Baise-Moi, il n’y avait pas d’histoire lesbienne à proprement parler, mais on ressentait une sorte de « tension » entre les deux personnages, une union très forte. Dans le film Baise-Moi il y a d’ailleurs un rapide baiser…

Oui, c’est une vraie fusion. Et puis il s’agit quand même de personnages féminins qui, si elles baisent avec beaucoup de mecs, se définissent par leur rapport l’une avec l’autre, et pas du tout par la séduction ou les hommes. Pareil dans Les Chiennes savantes : le livre parle beaucoup d’hétérosexualité mais il y a aussi des histoires de filles entre elles qui se définissent dans leurs propres rapports. On peut faire le même constat sur Les Jolies Choses, les deux héroïnes sont sœurs et c’est primordial. J’ai beaucoup tendance à définir les personnages féminins en dehors de l’hétérosexualité. Elles s’y confrontent mais ne sont pas définies fondamentalement par leur rapport aux hommes, ou en tout cas pas dans la séduction.

Si on compare par exemple le personnage lesbien des Chiennes savantes et le personnage de La Hyène dans Apocalypse Bébé – ainsi que tous les personnages lesbiens qui gravitent autour – on constate réellement l’évolution de votre regard.

Oui, je me suis cultivée beaucoup. Surtout à partir de Mutantes, dont le tournage a été très très important pour moi. J’étais très entourée, et essentiellement par des copines lesbiennes. Mais je ne me sentais pas directement concernée.
Quand on a débuté Mutantes, je me suis dit qu’on allait faire quelque chose sur le féminisme prosexe, et je me suis retrouvée à n’aller voir que des lesbiennes. Et j’ai pensé : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, toutes les figures qui m’intéressent sont lesbiennes ?! ». Pour certaines je ne le savais même pas, je l’ai découvert à ce moment là. Ça m’a marquée et je me suis beaucoup interrogée, 28 femmes sur 30 parmi celles que j’interrogeais étaient lesbiennes !
J’ai dû aussi me remettre en question et me demander si j’allais faire un documentaire lesbien ou féministe, parce qu’avec de telles proportions on ne peut plus faire comme si de rien n’était.
En plus, c’est lors de ce tournage que je suis tombée amoureuse d’une des filles qui travaillaient avec moi, ça a été un bouleversement. Je n’aurais jamais cru de l’extérieur que le changement serait si radical, comme si je basculais doucement mais sûrement, jusqu’à faire un tour complet et découvrir une nouvelle vision des choses. Tant qu’on ne l’a pas vécu soi-même, on pense que c’est un point de détail. En fait ça n’est absolument pas un point de détail, c’est le centre de gravité qui change totalement.

A propos de Julia Clieuterpe

Chroniqueuse occasionnelle

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