Interview de la romancière Sarah Waters

Sarah Waters

Interview accordée à plusieurs fans le 11 Février 2003 pour le site de la BBC

L’auteure de Tipping the Velvet et Fingersmith répond aux questions que vous avez envoyées par mail.

Louise de Londres : Comment et où écrivez-vous ? Pensez-vous comme Graham Green que 500 mots par jour suffisent ? L’écriture constitue-t-elle un rituel qui permet de « rester à la page » ?

Tous les écrivains que je connais ont un rituel d’écriture qui leur est propre. Certains d’entre eux écrivent durant les petites heures de la nuit. Pour moi, il s’agit d’un travail de journée, donc je ressemble de plus en plus à Graham Green et aspire à 500 mots quotidiens. Dans l’ensemble, il m’est arrivé de viser jusqu’à 1000 mots par jour mais c’est seulement en considérant cela comme un travail à part entière que je réussis à faire quelque chose. Si j’attendais que vienne l’inspiration, je pourrais bien attendre éternellement !

Janey de Glasgow : Passer de l’écriture et de la recherche universitaire à l’écriture de fictions a-t-il été une transition facile ou difficile ? 

J’ai trouvé que c’était un processus très libérateur parce que lorsque vous faites des travaux académiques, vous êtes dépendant de vos notes de bas de pages et donc être soudainement capable d’abandonner tout ça et d’assembler des choses, de créer un monde au lieu de faire la critique du travail de quelqu’un d’autre, c’était fantastiquement libérateur.

Susan de Cardiff : Comment savez-vous lorsqu’un livre est terminé ? Vous avez déclaré dans Readers and Writers Roadshow que vous planifiez l’un d’entre eux et qu’ensuite c’est comme faire de la peinture en suivant les numéros. Cela signifie-t-il que l’intrigue supplante les mots ?

Dans les trois livres que j’ai écrits pour le moment, de plus en plus, l’intrigue a dominé au départ parce que j’ai dû la sceller à l’avance, avant d’écrire quoique ce soit, et ensuite, ça ressemble un peu à la peinture par numéro. Mais le fait d’avoir bouclé votre intrigue ne veut pas forcément dire que vous connaissez vos personnages.
Pour moi, et surtout parce que j’ai jusque-là toujours écrit à la première personne, apprendre à connaître la personnalité de mes personnages est quelque chose qui est survenu au fil de l’écriture et souvent par surprise. Une intrigue n’est en fait qu’un squelette et tout le reste en termes de voix et de personnalisation, vous l’apprenez alors que vous cheminez et c’est la partie la plus excitante !

Fiona Wood : Y a-t-il une QUELCONQUE chance d’une suite pour Tipping the Velvet ?

J’en doute vraiment… Pour moi, mes personnages n’existent que pour servir un projet de livre ; ils n’existent jamais réellement pour moi au-delà de ça.

Indira Patel : J’aimerais savoir si vous avez un droit de regard sur la façon dont vos livres sont adaptés à l’écran ?

Ça n’a pas été le cas pour Tipping The Velvet et l’adaptation des deux autres romans est en projet mais je ne peux pas prévoir si j’aurai un rôle dans ce processus, et, pour être honnête, je n’ai jamais vraiment voulu en avoir un. Quand j’écris un roman, lorsque je l’ai terminé, je suis déjà passée au livre suivant. De même, lorsque vous écrivez un livre, vous êtes trop attaché au livre lui-même pour être capable de le découper, d’avoir cette cruauté pour pouvoir l’adapter.

Anna Stafford : Quel livre avez-vous préféré écrire et pourquoi ?

J’ai beaucoup aimé écrire Tipping The Velvet et  l’écrire a été un énorme amusement. Ça a été drôle de l’écrire parce que je l’ai fait avec cette sorte d’innocence professionnelle et je n’avais pas d’éditeur ni d’agent lorsque j’ai commencé. Je l’ai juste écrit pour moi-même et j’ai « galopé » à travers lui. Fingersmith était drôle d’une autre manière parce qu’il y avait tous ces revirements de situation diaboliques dans l’intrigue et j’y ai vraiment pris du plaisir. Affinity a été un livre affreux à écrire !

Dee Newman : Maintenant qu’Andrew Davies a adapté Tipping The Velvet pour la télévision, y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez prendre du film pour le livre ou inversement ?

Une des choses qui m’a frappée est que les gens m’ont souvent dit qu’ils trouvaient Nancy plutôt passive dans le livre. Mais la Nancy d’Andrew, Rachael Stirling, a fait d’elle un personnage beaucoup plus fougueux et rétrospectivement, je pourrais essayer d’apporter un peu plus de ça dans le livre si je devais l’écrire à nouveau.
Ce qu’on perd dans la version télévisée c’est un peu de cette profondeur émotionnelle, parce que si c’est très joueur, on perd peut-être une partie de la noirceur également. Il y avait des morceaux du livre, lorsqu’elle se prostitue dans les rues, ça aurait pu être traité sous un angle plutôt érotique, mais bien sûr, ils ont privilégié l’aspect comique. Mais en même temps, c’était une représentation du sexe lesbien vraiment positive.

Ça aurait pu être une exploration assez poussée d’un univers gay et ils auraient pu accentuer beaucoup plus la charge érotique.
Il y a plusieurs scènes où Nancy emmène Florence dans un pub gay alors que dans le livre, c’est l’inverse. En cela, je continue à préférer ma version car tout repose sur le fait qu’il s’agit de l’éducation sexuelle de Nancy dans le livre et il est crucial qu’elle l’apprenne de Florence plutôt que d’initier elle-même Florence au milieu gay. J’ai pensé que ça avait peut-être quelque chose à voir avec l’adaptation. Que la culture du long-métrage pouvait supporter des histoires de coming out mais que présenter des lesbiennes adultes dans un monde lesbien assumé qui leur appartienne était un peu trop. Il leur fallait une Florence parfaitement innocente.

Kelly Housby : Y a-t-il des projets d’adaptation pour Affinity ou Fingersmith ?

Il y en a ! Andrew Davies a écrit un script pour Affinity et souhaite l’adapter en long-métrage. Apparemment, il vient juste d’être envoyé à Roman Polanski mais il n’en veut pas ! Et pour Fingersmith, il y a des projets d’adaptation pour la télé.

David Allardice : Est-ce que ça vous agace d’être éternellement présentée comme une « auteure lesbienne » ? Avez-vous volontairement  choisi de présenter une romance lesbienne peu explicite dans le but d’attirer un public plus large ?

Quelqu’un m’a suggéré il y a environ un an que j’avais peut-être fait le choix d’atténuer la teneur lesbienne et que mon éditeur avait pu m’en faire la demande. Mais en réalité, j’étais plutôt horrifiée que quiconque puisse penser que j’aurais fait ça ! Ayant écrit un roman lesbien, je souhaitais faire quelque chose de différent et il se trouve que l’intrigue lesbienne s’est avérée être plus ou moins anecdotique dans Fingersmith.
Ceci étant dit, ça reste un élément central de mon inspiration créatrice. Pour cette raison, ça ne m’agace pas d’être présentée comme une auteure lesbienne, parce que l’inverse serait d’être dans le placard. À notre époque, un livre devrait pouvoir être estampillé lesbien et pour autant trouver un large public.

Kayla : J’ai vraiment adoré Tipping the Velvet, Affinity et je viens juste de commencer à lire Fingersmith. Je me demandais s’il y avait d’autres merveilleux livres à l’horizon ?

C’en est encore à un stade très embryonnaire, même si j’ai déjà passé beaucoup de temps à travailler dessus. Ce n’est pas linéaire comme l’étaient les autres livres et c’est beaucoup plus impressionniste. C’est encore en vrac dans tous les sens du terme ! L’histoire se passe dans les années 1940 juste après et durant la guerre et relate la vie de plusieurs femmes dans le Londres des années 40.

Nicola Johnson : Après avoir été nommée pour de nombreux prix cette année et avoir remporté au moins deux d’entre eux, ressentez-vous davantage de pression lorsque vous écrivez étant donné que l’attente des gens va en grandissant ; d’autant plus avec votre 4ème livre où vous laissez derrière vous l’époque victorienne ?

Oui, je ressens qu’il y a effectivement beaucoup plus de pression sur moi et mes livres. D’abord, cette sensation qu’il y a un sentiment d’attente. C’est terrifiant et excitant ! Il faut juste que j’essaie d’en faire abstraction parce que si vous tentez d’écrire pour ce public plein d’attentes, vous vous rendrez compte que c’est impossible. Donc il faut que j’essaie de retourner à mon petit monde à moi dans lequel j’ai écrit pendant ces sept dernières années.

Ça a été une grande source de stress de laisser derrière moi l’époque victorienne et de me séparer de ce support victorien qui fait le bonheur des foules. Me départir de tout cela et écrire uniquement sur des relations, c’est effrayant ! Mais je pense en avoir besoin en tant qu’auteure. Ayant avancé jusqu’aux années 40, j’aimerais peut-être y rester le temps d’un autre livre. Et les années 50 paraissent très tentantes donc je rampe lentement vers l’avant…

Traduction Magali Pumpkin

Interview Originale sur le site de la BBC

Répondre