L’histoire de la « Proposition 8 » n’est pas connue de la plupart des Français, elle évoque beaucoup plus de choses – un peu vagues cependant – dans ce qu’on peut improprement appeler la « communauté gay et lesbienne » hexagonale, notamment pour celles, nombreuses parmi nous, qui allons régulièrement jeter un œil sur le site AfterEllen.com. Nous en avions parlé sur le forum à l’initiative de Redflower ici.
Un film à venir sur nos écrans, réalisé par Julie Gali et intitulé Illegal Love, montre que ce qui s’est passé en Californie en 2008 a de quoi retenir notre attention et marque peut-être un tournant dans la lutte pour les droits aux États-Unis.
Que s’est-il passé et de quoi s’agit-il ?
La « Proposition 8 » est à l’origine un projet d’amendement – c’est-à-dire de modification – de la Constitution de l’État de Californie. Rappelons que les États-Unis sont un État fédéral et qu’il existe une Constitution des États-Unis rédigée à la fin du XVIIIe siècle, après la Guerre d’Indépendance et appliquée depuis 1789. Cette Constitution fédérale n’a jamais « changé » mais elle a été amendée à 27 reprises, certains amendements changeant radicalement l’étendue des droits des Américains. Il existe aussi des constitutions pour chaque État de l’Union. La constitution californienne actuelle existe depuis 1879, mais elle a été amendée plus de 400 fois et elle est l’une des plus longues au monde. Dans le contexte américain, un amendement n’est donc pas exceptionnel, notamment en Californie.
La « Proposition 8 » est une demande de protection du mariage en Californie présentée par un groupe de pression qui s’est créé en 2008 et s’est fédéré autour de l’organisation « The ProtectMarriage.com », dirigée par Ron Prentice, du California Family Council (une organisation chrétienne à but non lucratif). Son texte peut se réduire à cette seule phrase :
« Only marriage between a man and a woman is valid or recognized in California »
« Seul un mariage entre un homme et une femme est valide ou reconnu légal en Californie ».
Pourquoi cette initiative et qu’a-t-elle d’exceptionnel ?
En fait, la Proposition 8 est une revanche et elle est profondément marquée par une conception discriminatoire et haineuse qui n’hésite pas à jouer avec les règles de la démocratie.
C’est d’abord une revanche. Il faut rappeler qu’en Californie, en 2000, le sénateur William P. Knight avait déposé ce qui est connu sous le nom de « Proposition 22 » (ne me demandez pas d’où viennent les chiffres ? Je n’en ai aucune idée) qui restreignait déjà la définition du mariage à une union réservée à un homme et une femme. La proposition avait été soumise à référendum dans l’État de Californie et avait emportée 61% de suffrages favorables, ce qui avait eu pour conséquence d’ajouter cette clause discriminatoire dans le Code de la Famille de Californie. Cette clause pouvait cependant être combattue car elle faisait partie du droit ordinaire et le 15 mai 2008, la Cour Suprême de Californie avait été obligée de reconnaître à 4 voix contre 3 que cet article était en contravention avec la Constitution de l’État de Californie, invalidant la Proposition 22 et rendant ainsi légal le mariage entre partenaires de même sexe à compter du 16 juin 2008.
Une étude de l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA) avait alors estimé à 100 000 le nombre de couples de même sexe vivant dans cet État en 2008. Elle estimait que la moitié de ces couples pourrait profiter de ce nouveau droit d’ici 2011 et de que nombreux couples homosexuels venus d’autres États viendraient en Californie pour se marier. Pour les conservateurs de cet État, la légalisation du mariage homosexuel était insupportable car ils pensaient s’en être définitivement prémunis avec la Proposition 22.
Ajoutons pour l’anecdote que le propre fils cadet du sénateur Knight, à l’origine cette clause discriminatoire, était homosexuel et avait décidé de défier la proposition 22 en épousant son partenaire à San Francisco en 2004. Le maire de la ville, connue pour son importante communauté gay, avait cette année-là célébré plus de 4 000 mariages entre couples de même sexe pour porter à l’attention des juridictions et du pays la discrimination dont était porteuse la Proposition 22. Dans nos sociétés occidentales marquées par la culture et la religion chrétienne, le mariage est une institution particulière. Il a une dimension sacrée et reste un sacrement pour les Églises mais dans les démocraties, il est désormais un contrat civil entre deux personnes libres et égales en droit. Cette double acception explique le fait que les mariages soient d’abord célébrés dans les mairies avant de l’être dans les lieux de culte. Dans le droit, introduire l’idée qu’un mariage n’est légal qu’entre un homme et une femme introduit une discrimination de sexe. Cela partage la communauté nationale en deux catégories de personnes : ceux qui peuvent se marier avec la personne qu’ils aiment et ceux qui ne le peuvent pas. Pourtant, l’homosexualité n’est pas considérée dans le droit comme un crime. Il y a donc un cas juridique. Mais les tribunaux doivent-ils seuls décider ? N’est-ce par avant tout une question politique ?
Ce qui fait de la Proposition 8 un acte haineux et antidémocratique, c’est le fait que cette proposition cherche à revenir sur des droits qui ont été accordés à une minorité par la Cour Suprême de Californie en changeant les règles mêmes de l’État, c’est-à-dire la Constitution.
Qui est prêt à changer la Constitution pour exclure définitivement les homosexuels de l’institution du mariage ?
Il faut aller voir du côté de TheProtectMarriage.com. Cette organisation a actuellement toujours un site internet (http://protectmarriage.com/) avec un nom de domaine en propre, mais aussi des relais dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, mySpace et YouTube). On recense à la date du 9 mai 2010 un total de 102 580 soutiens en ligne. L’organisation se présente comme une très large coalition de familles, de chefs de communauté, de chefs religieux, d’organisations familialistes et d’individus qui défendent le mariage traditionnel. La définition religieuse du mariage en tant que sacrement y est centrale. En dehors de Ron Prentice que nous avons déjà présenté, on trouve les noms d’un évêque afro-américain (George Dallas Kinney) de la tendance pentecôtiste (une dissidence protestante) et un député du parti Républicain (Rosemarie « Rosie » Avila, originaire du Guatemala, qui est arrivée aux États-Unis à 6 ans avec ses parents pour fuir le communisme). En effet, il semble que ce soit surtout une partie des Républicains, dont le candidat aux élections présidentielles, Mac Cain, avait soutenu la Proposition 8 ainsi que les Églises les plus conservatrices aux États-Unis qui se trouvent au cœur du projet.
Pour pouvoir porter sa proposition devant les urnes et susciter un référendum, cette organisation devait, selon les lois en vigueur dans l’État de Californie, rassembler une pétition signée par plus de 8% des électeurs californiens inscrits sur les registres électoraux lors des dernières élections pour désigner le gouverneur. Il a donc fallu trouver plus de 694 354 signatures valides. L’organisation a réussi à rassembler plus d’1,12 millions de signatures et elle a reçu des dons de toutes parts, dans l’État de Californie mais aussi de la part d’autres États américains. Depuis le 29 janvier 2009, les noms des signataires et des donateurs à la Proposition 8 sont connus, à la demande d’un juge fédéral qui a rejeté la motion d’anonymat de l’association. Il existe donc des cartes sur Google Maps qui localisent précisément les soutiens à cette initiative, tel http://www.eightmaps.com/
La Proposition 8 a été reconnue comme valide et la Cour suprême de Californie a fixé à la date du 4 novembre 2008 le jour de la consultation des citoyens californiens sur le sujet, soit le même jour que le D-Day de l’élection présidentielle. Pendant 6 mois, entre le 2 juin 2008 et le 4 novembre 2008, il y a donc eu une campagne pour ou contre la proposition 8 en Californie.
Cette campagne a été incroyable. Elle a d’abord coûté énormément d’argent : 39,9 millions de $ pour les « pro » et 43,3 millions de $ pour les « contre ».