Gertrude Stein et Alice Toklas

Gertrude Stein

« Tout bon GI en permission à Paris savait qu’il y avait deux grands monuments à venir visiter, la Tour Eiffel et Gertrude Stein » avait dit d’elle Thornton Wilder, un romancier et dramaturge américain qui reçut le Prix Pulitzer. Et c’est vrai que cette Américaine qui a vécu presque toute sa vie en France est devenue une sorte de légende entourée d’une admirable collection de tableaux modernes (Picasso, Matisse, Cézanne), de caniches, d’une vieille Ford, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, toute une « nouvelle vague » d’Américains se précipite chez elle, 27, rue de Fleurus, pour recueillir ses précieux conseils comme l’avaient fait dans les années 1920 de jeunes auteurs tels qu’Hemingway ou Scott Fitzgerald.

Il n’est pas facile d’écrire un portrait de Gertrude Stein seule car elle s’est toujours associée à la femme qui a partagé toute sa vie. Un titre illustre bien cette difficulté : son Autobiographie d’Alice Toklas où par un curieux renversement, Gertrude Stein se substitue à sa compagne, avec qui elle a vécu presque toute sa vie, pour se raconter à travers ce témoin.

Dans cette autobiographie, elle commence par parler d’Alice en utilisant la première personne du singulier.
« Je suis née en Californie, à San Francisco. […] Le père de ma mère était un des premiers immigrants qui arrivèrent en Californie en 1849 ; il y épousa ma grand-mère qui était très bonne musicienne. Elle était l’élève de Clara Schumann. Ma mère était douce et charmante ; elle se nommait Émilie. Mon père sortait d’une famille polonaise très patriote. Son grand-oncle avait levé pour Napoléon un régiment, dont il était le colonel. Son père, aussitôt après son mariage, avait quitté sa jeune femme pour venir se battre à Paris sur les barricades, mais comme sa femme avait refusé de lui envoyer de l’argent, il avait dû rentrer chez lui où il avait mené la vie d’un riche propriétaire riche et bien-pensant ». Ainsi commence L’Autobiographie d’Alice Toklas. Alice y est décrite d’abord comme une descendante d’expatriés d’Europe de l’Est, une descendante de gens cultivés, aventureux qui ont cherché refuge et fortune dans le pays de la Ruée vers l’or qui commence vers 1848 justement. Mais c’est pour aussitôt l’en distinguer et l’en différencier : « moi je n’ai jamais aimé la violence et j’ai toujours recherché les plaisirs du travail à l’aiguille et ceux du jardinage. J’aime les tableaux, les meubles, les tapisseries, les maisons et les fleurs ; j’aime même les légumes et les arbres fruitiers. J’aime un beau paysage, mais j’aime lui tourner le dos ». En somme, elle la présente comme une femme de goûts simples, aimant une vie paisible, sans remous, répétitive, régulière. Mais est-ce vraiment le portrait d’Alice ou plutôt déjà celui de Gertrude ?

Alice Toklas a passé sa jeunesse en Californie, chez ses parents. Jusqu’à ses vingt ans, elle travaillait beaucoup sa musique pour faire comme sa mère ou pour lui faire plaisir, mais sa mort, en 1896, mit un terme à cet intérêt. Elle s’intéresse à divers sujets, mais se présente surtout comme une jeune fille rangée qui veut plaire à ses parents. C’est le tremblement de terre de San Francisco en 1906 qui lui apporte la révélation que sa vie est ailleurs, lorsqu’au retour de son frère et de son épouse qui emmènent dans leurs « bagages » les trois premiers tableaux de Matisse qui aient pénétré aux États-Unis, elle a un choc : elle veut aller à Paris.

Pendant ce temps, à peu près à la même époque, a grandi Gertrude Stein.

Gertrude Stein

Née en Pennsylvanie, à Alleghany, le 3 février 1874, elle a passé une enfance vagabonde entre Paris, Vienne et une adolescence américaine, entre Oakland, San Francisco et la Côte Est.

Gertrude Stein

Brillante, elle entre à Radcliffe, une institution entièrement féminine qui était le pendant de Harvard, immédiatement voisine et uniquement masculine. Elle y eut pour maître William James, le frère d’Henry James le romancier, qui était un éminent professeur de psychologie bien qu’elle n’eut pas encore son baccalauréat à l’époque. Gertrude Stein est une intellectuelle, mais l’université ne lui apporte pas ce qu’elle cherche.

La voici en 1894 :

Gertrude Stein

C’est une jeune femme rangée mais au regard avide et volontaire qui pose en 1903 sur cette photographie. Aucune timidité : elle donne l’apparence d’une personnalité forte ayant déjà beaucoup de caractère.

Gertrude Stein

Elle termine alors deux années d’études à l’École de Médecine de John Hopkins, à Baltimore, l’un des centres d’enseignement supérieur les plus importants.

Gertrude Stein

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