Interview de la scénariste et réalisatrice Chris Vander Stappen

Chris Vander Stappen

Interview accordée à Stéphanie Bee le 27 Septembre 2010 pour le site Univers-L.com

Vous avez commencé par travailler pendant de nombreuses années dans des agences de publicité tout en écrivant pour votre plaisir. Combien de temps cela a-t-il duré ? Comment êtes-vous devenue scénariste et avez-vous transformé un « hobby » en métier ? Qu’est ce que vous apporte l’écriture ?

J’ai travaillé pendant 14 ans comme directrice artistique dans les agences de publicité en écrivant pendant mes moments de loisir. Le premier scénario que j’ai écrit est Ma vie en rose et il a fallu 4 ans pour qu’il intéresse une production et que je quitte la pub.

J’y ai beaucoup appris, notamment à travailler dans la contrainte, dans des délais courts, à répondre à un cahier des charges, à trouver mille idées pour n’en retenir qu’une, à aller à l’essentiel. Une excellente école pour le métier de scénariste qui, contrairement à celui de romancier, doit tenir compte de beaucoup de contraintes : budget de production, réécritures sans fin pour répondre aux remarques et demandes des coproducteurs, des financiers et des chaines de télé ainsi que des comédiens et du réalisateur ou trice, bien sûr. Contrainte ne veut pas dire compromis, même si parfois il faut en faire ! Le tout est d’arriver à trouver des solutions qui soient encore meilleures que ce qu’on a proposé au départ, qui nous fassent aller plus loin encore, plus près du cœur du sujet. Et ne pas se trahir dans le propos qu’on veut tenir et qui est à la naissance du projet de film. Ne pas oublier pourquoi on s’est lancé dans cette épreuve marathonienne où persévérance, remise en question permanente et endurance sont les maîtres mots.

L’écriture est une nécessité, un prolongement de moi-même. C’est quelque chose d’organique. Elle m’apporte une infinité de vies différentes, de mondes parallèles, d’alternatives à la réalité, de rêves éveillés. Ecrire pour moi est comme respirer, ingérer la dose d’oxygène nécessaire à la vie.

Les rêves ont une place importante dans vos films : ceux qu’on fait pour soi, ceux qu’on forme pour les autres, ceux qu’on nous impose et qui nous enferment. Quelle place accordez-vous à l’imaginaire personnel et à l’imaginaire social ?

J’accorde une place essentielle et prépondérante à l’imaginaire, sinon je ne ferais pas ce métier. Mais il n’est pas l’apanage des gens qui créent. C’est une mine d’or que nous possédons tous, mais qui n’est pas toujours bienvenue dans une société gouvernée par la raison, le matérialisme et le réel. On se hâte de le reléguer au rang de « fantaisie », comme un luxe pour oisifs. C’est comme s’il n’avait droit de cité que dans des circonstances exceptionnelles clairement définies et annoncées comme « distraction ». C’est oublier que l’imaginaire est aussi ce qui permet à des scientifiques, par exemple, de créer ce qui n’existe pas encore. Sans l’imaginaire, pas de progrès possible.

C’est un trésor qui nous permet d’inventer et réinventer nos vies, d’en faire un projet personnel et non pas le projet que des tas de gens font pour nous depuis que nous arrivons au monde, parents, famille, entourage, éducateurs, conjoint, enfants, patron, collègues, etc. L’imaginaire est ce qui nous permet de vivre le réel.

Vos personnages ne sont pas des rebelles, mais ils sont différents. La plupart veulent se conformer à l’idée qu’on s’est faite d’eux et le regard des autres compte beaucoup dans leur conduite. Pourquoi ce thème est-il si récurrent dans vos œuvres ?

L’être humain, quel qu’il soit, a tellement besoin d’être reconnu, aimé, qu’il est prêt à sacrifier la part intime de lui-même pour se conformer à l’attente de ceux dont il recherche la reconnaissance et l’amour. Il tente désespérément de correspondre à l’image que les autres se font de lui qu’il construit un puzzle mal assemblé de lui-même et finit par devenir une image brisée, incohérente, blessée. Il finit par perdre l’amour des autres et de lui-même. C’est le cœur de la tragédie humaine et elle me touche infiniment. Ce sont ces êtres-là qui me bouleversent bien plus que les rebelles de qui émane une force qui les protège de toute atteinte, de tout changement. Les êtres qui peinent à devenir eux-mêmes pour ne pas perde l’amour de l’autre, des autres, sont comme des papillons en devenir, des êtres aussi fragiles que forts, mus et gouvernés par une pulsion de vie, par leur sensibilité, par les émotions qu’ils mettent enfin à nu et cet amour désiré qu’ils mettent en péril. Qui que nous soyons, quelle que soit notre normalité – si tant est qu’elle existe ! –  ou notre différence, nous avons tous droit à cette seconde naissance, celle que nous concevons pour nous-mêmes. En parlant de ce processus tout simplement humain, j’évite de restreindre le discours sur une différence particulière, comme l’homosexualité. A travers mes personnages et ce qu’ils sont, je parle de tout le monde. Et donc, je parle à tout le monde. En tous cas, je l’espère…

La majorité de vos films traite de l’homosexualité féminine et de son acceptation : par soi, par sa famille (surtout la mère), par ses enfants, par ses voisins. Est-ce un moteur de votre écriture ? Est-ce que c’est parce que vous considérez comme Dan que « la honte, c’est la gangrène du cœur » ?

Je crois avoir répondu à la première partie de la question dans ma réponse précédente. J’ajouterais que j’ai écrit des scénarii de films qui ne traitent absolument pas de l’homosexualité. Celle-ci n’est pas un moteur, ce sont les mystères de la nature humaine qui me poussent chaque jour à l’explorer, avec de plus en plus de questions et de moins en moins de réponses.

Quant au dialogue de Dan : « la honte, c’est la gangrène du cœur », je pense sincèrement que la honte est une maladie mortelle. Elle nous ronge le cœur, l’empêchant de battre à plein régime, étouffant le bruit qu’il pourrait faire en battant, recouvrant les émotions et sentiments qui y coulent de la poix du rejet, du dégoût, de l’exclusion. On peut mourir de honte !

Ce qui me passionne, c’est d’écrire des personnages qui se battent pour avoir le droit de vivre, d’être ce que la nature a fait d’eux, sans ombre, sans peur, sans honte. Ce que nous sommes ne doit pas être source de honte. La honte est un sentiment qui naît d’une manière d’agir peu reluisante ou carrément rédhibitoire. Elle est donc inappropriée quand elle concerne la nature profonde d’un être humain.

Deux de vos films se passent pendant les années 60 (Que faisaient les femmes… et Sœur Sourire). Les milieux que vous dépeignez sont ceux du petit commerce déclinant mais digne dans une société de consommation qui voit l’avènement des grandes surfaces. Vous avez une « tendresse » particulière pour ce milieu ?

Oh oui ! Mes grands-parents maternels étaient commerçants, mais ce n’est pas l’unique raison de mon attachement au petit commerce. Ils sont les derniers bastions de la convivialité dans les villes. Des lieux où l’individu a sa place, où on se connaît, où on se reconnaît, où on est familier des habitudes de chacun. J’ai le sentiment que s’ils continuent d’exister, on aura moins de chances de mourir seul dans son coin sans que personne le remarque. Et puis, ils me ramènent à ces magasins pour enfants que nous avons tous connus, avec leurs faux fruits et légumes, leurs boîtes de conserve miniatures, leurs balances avec des poids, leurs caisses enregistreuses qui font « Gling ! ».

Vous êtes belge. La plupart de vos œuvres et tous vos films se passent en Belgique dans de petits lotissements ou loin de Bruxelles (à Céroux par exemple). Pourtant, il y a aussi un « rêve d’ailleurs », souvent incarné par Paris. Est-ce que ce sont vos deux pôles et quelle place occupent-ils ?

Bruxelles est un grand village qui s’articule en « lotissements » autour d’un centre ville minuscule et plein de charme. Il y existe une qualité de vie, un esprit bon enfant, une atmosphère de carte de Noël hors du temps qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Je travaille beaucoup à Paris qui est une ville bouillonnante à tous points de vue, électrisante, mais je n’imagine pas vivre ailleurs qu’à Bruxelles. C’est le lieu où je retrouve cette liberté de n’avoir rien à perdre qui m’est essentielle à l’écriture.

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