Une maman, une papa : Interview de Nathalie Séguin

Nathalie Séguin

Interview accordée à Isabelle B. Price le 24 Juin 2013 pour le site Univers-L.com

Vous avez un parcours professionnel atypique. Pouvez-vous vous présenter et présenter ce dernier aux lectrices du site ?

Je m’appelle Nathalie Séguin, je suis née en 1965. Je suis la dernière d’une fratrie de quatre enfants. Mon père était gendarme et j’ai grandi bien à l’abri dans une caserne jusqu’à mon adolescence. J’étais un vrai garçon manqué et la mascotte des gendarmes sur le parcours du combattant. J’ai adoré mon enfance.

Mon adolescence a mal commencé, mon père ayant pris sa retraite après un accident invalidant, nous nous sommes retrouvés dans le civil où il avait pris un poste de gardien dans une cité de la banlieue parisienne. Je remercie encore les gendarmes de m’avoir appris les bases de l’auto-défense que j’ai pu appliquer au quotidien dans cette jungle.

L’adolescence est un moment difficile pour se découvrir. À la différence de mes frères et sœurs, je n’étais pas à l’aise dans la séduction de l’autre. Je n’étais pas à l’aise avec moi-même. Je n’avais qu’une envie, grandir vite, travailler et partir loin de là.

J’avais deux passions, la photo et aider les gens.

Je voulais être chasseur d’images d’animaux, mais l’école coûtait trop cher. Alors j’ai voulu devenir infirmière et partir avec Médecins du Monde. Hélas, mauvaise orientation scolaire, je n’ai pu me présenter au concours d’infirmière, alors je suis passé par la petite porte pour devenir aide-soignante.

Comme je me suis mariée entre temps, j’ai très vite dû oublier l’humanitaire.

J’ai eu des enfants, donc j’ai très vite oublié les études d’infirmière. Mais cela ne me gênait pas car mon rôle d’aide-soignante auprès des personnes âgées me convenait très bien. C’était mon choix.

Il n’y avait pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour faire du social. L’humanité commençait près de chez moi.

J’ai appris qu’en plus d’être auprès de mes patients, je pouvais aussi améliorer leurs conditions de vie. Les manifestations des infirmières et des hôpitaux dans les années 90 m’ont permis de m’investir dans la contestation et d’être entendue par le gouvernement en place à l’époque et les représentations syndicales motivées.

J’ai alors été élue Secrétaire Générale du syndicat pendant trois ans, représentante aux Prud’hommes et Secrétaire du CHSCT (Commission d’Hygiène, de la Sécurité et des Conditions de Travail) J’ai beaucoup appris. Mais tout cela m’éloignait de mes patients et leur contact me manquait. Dans l’envie d’améliorer encore plus leur bien-être, j’ai proposé à ma direction (bienheureuse de me voir quitter le syndicat) de mettre en place un Service d’Animation répondant aux demandes des patients (qui étaient surtout des demandes d’évasion). Je me suis donc retrouvée Responsable des Animations extérieures à l’hôpital.

Comme je m’occupais de personnes en fin de vie, mon objectif était de répondre à leurs derniers souhaits et j’ai pu emmener mes patients aussi bien au petit restaurant du quartier pour juste manger un œuf à la coque qu’en bord de mer pour faire découvrir l’océan à des personnes qui ne l’avaient jamais vu de leur vie.

Vous voulez voir le Pape, pas de souci. Vous voulez voir un spectacle, un match de foot, partir en vacances, pas de problème. Et je m’occupais aussi des spectacles et animations en interne avec une équipe de soignants. J’ai appris à gérer des plannings, des budgets, des relations humaines.

Un métier magnifique.

En parallèle, j’ai aussi été Présidente d’une Association pour la création d’une Cantine Scolaire et d’un Centre de Loisirs dans le petit village où l’on vivait, ainsi que d’une Association Loisirs et Informations pour Adolescents (avec aussi bien des sorties en parcs d’attractions que l’organisation de soirées dansantes ou de soirées d’informations sur le Sida avec la collaboration d’Act Up). Et bien sûr, Conseillère municipale pour pérenniser tout ça.

Plus tard mes difficultés personnelles ont influé sur ma vie professionnelle.

Au début il y a eu une grande solidarité pour m’aider à surmonter mon divorce, mais ensuite l’incompréhension sur le fait que je n’aie pas mes enfants à charge a éloigné un peu les gens, un malaise s’est installé.

Mais quand on a su que j’étais devenue homosexuelle, la mise au placard a été rapide et violente. Je n’avais plus ma place dans mon établissement.

J’ai alors pris un détachement pour travailler dans une maison de retraite mais mon homosexualité a dérangé. Vous allez me dire, mais pourquoi ne l’ai-je pas cachée ? D’une, car je ne voyais pas le mal, et de deux, j’avais l’appartement de fonction de la résidence et ma vie privée n’était donc un secret pour personne. J’ai alors senti mes relations de travail se dégrader jusqu’à mon remerciement.

J’ai travaillé ensuite en Soins à Domicile à Paris, et là j’ai découvert PARIS. Ville magnifique, d’histoire, d’architecture. Je suis tombée en amour. Avec mon téléphone portable, j’ai fait un reportage-photo sur les Escaliers de Paris que je montais pour soigner ces patients qui ne pouvaient plus les descendre, ces escaliers qui étaient le cordon de leur fin de vie.

Mes patients m’ont raconté leur quartier, la vie dans la capitale. Un jour, une de mes patientes à qui j’avais montré mes photos, m’a dit «  Fais-moi vivre, fais-nous vivre à travers tes photos et nos histoires ! ». J’ai donc fait une exposition de ces photos en racontant leurs histoires. J’ai exposé à Paris et en Espagne.

Après un déménagement en région parisienne, j’ai continué mon travail de Soins à Domicile mais dans ma nouvelle région, à la campagne. Encore de nouvelles vies, de nouvelles expériences. Mon homosexualité a été découverte (par l’intermédiaire de mon compte bancaire qui est un compte joint) et curieusement, dès lors, les conditions de travail se sont à nouveau dégradées jusqu’à un accident qui m’a handicapée à vie et qui ne me permet plus aujourd’hui de travailler dans mon métier.

Mon temps de convalescence, je l’ai occupé à faire un reportage-photo sur des cygnes qui avaient niché en bas de chez moi, puis sur la faune et la flore des étangs. J’ai présenté une exposition sur ce thème et fait un suivi dans les écoles.

Et aujourd’hui, j’élève mon fils et j’essaie de faire la promotion de mon livre Une Maman, une Papa qui raconte ma vie de maman de trois enfants dans le cadre d’un mariage « hétéro-normé » et de papa du bébé de ma compagne.

Vous n’étiez pas prédestinée à écrire une autobiographie « lesbienne ». Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la plume pour parler ainsi de votre vie ?

En effet, rien ne me prédestinait à écrire. J’ai un niveau « Bac moins un » et je n’ai jamais été très bonne en français.

C’est ma femme qui m’a donné confiance et m’a poussée à mettre en forme tout ce que j’avais écrit durant sa grossesse. C’est aussi elle qui m’a encouragée à développer toute la partie précédant notre rencontre et toutes les épreuves que j’ai pu traverser pour que d’autres femmes puissent y trouver écho. Puis, j’ai tenu un journal de notre aventure.

Comme je ne refuse jamais rien à ma compagne, le manuscrit est devenu un récit publié.

Lors de rencontres à l’APGL, dans des réunions homo, ou lors des visites de préparation à l’accouchement, j’ai souvent été interpellée sur mes trois maternités, ou sur ma place de parent social, et je me suis dit qu’il était peut-être intéressant pour certaines personnes de lire mon vécu et mon ressenti.

Ce n’est pas, à proprement parler, une autobiographie « lesbienne », mais un récit de vie. Je suis très tentée d’écrire mon autobiographie de lesbienne, mais je crois que ça ne plairait pas beaucoup à ma femme et notre canapé n’est pas très confortable.

Certaines lectrices attendaient un livre traitant de l’homoparentalité. Là vous abordez plutôt la question de parcours pour avoir un enfant en tant que couple de femmes et la place de ce dernier dans une fratrie. C’est quelque chose qui vous tenait à cœur ? Peut-on espérer une suite sur la manière d’élever un enfant quand on est deux femmes ?

Qu’est-ce qu’un livre traitant de l’homoparentalité ? Quelle est exactement l’attente ?

J’ai écrit un livre parlant de la maternité. Je pense que, que l’on soit homo ou hétéro, la maternité est le  même mystère. Mon livre est un témoignage de mon vécu de mère et de notre vécu de futurs parents. Cela me tenait à cœur de passer l’information. Si ce que j’écris peut aider à répondre aux questions de certaines, j’en serais comblée.

Je ne pense pas faire une suite sur « comment élever un enfant quand on est deux femmes » car nous sommes parents avant tout. Et il n’y a pas de mode d’emploi pour élever un enfant. Chaque bébé est unique et différent, et chaque parent est unique et différent.

Ma vie n’est qu’un reflet possible mais je pourrais bien sûr raconter la suite de nos tribulations, les premières années de Babybou, entouré d’une papa qui n’est pas, mais absolument pas, celle qu’on croit, et d’une maman qui se prend pour une mama sicilienne.

Je dirais seulement qu’il est plus facile d’élever un enfant quand il y a de l’amour dans le couple !

Ce qui m’a séduit en tant que lectrice c’est l’humour présent à toutes les pages, même quand vous parlez de votre vie qui n’a pas toujours été facile. C’était important pour vous de ne pas vous apitoyer et au contraire de tourner certaines problématiques en dérision ?

En fait, j’aime rire, j’aime faire mon clown et encore plus quand les choses sont dramatiques.

Mon métier m’a mise très vite en contact avec la mort, la souffrance et la seule chose qui m’a permis de tenir c’était de sourire à la vie et de tourner en humour le moindre des détails pour éviter de pleurer. J’ai adopté ce principe en philosophie de vie. On a toujours dit que les clowns n’étaient pas les plus heureux. J’avoue que, pour le coup, j’ai beaucoup moins d’humour maintenant puisque j’ai une énorme joie de vivre.

La vie est belle et je voulais le dire.

Ma vie n’a pas été si dramatique, je suis plutôt en bonne santé et mes enfants vont bien. Alors prendre du recul et prendre mes anciens soucis à la légère, c’est une manière de leur donner moins d’importance et de placer les gens qui m’ont fait tant de mal à un rôle de figurant, le plus insignifiant possible pour ne garder que le bon dans ma vie.

Je suis heureuse que mon humour et mon témoignage vous aient plu.

À travers Une maman, une papa on voit vraiment deux manières très opposées de vivre une grossesse (vous et votre compagne). Vous avez accentué les différences ou tout est vrai ? N’était-ce pas aussi un moyen de lutter contre l’idée que deux femmes qui vivent ensemble finissent forcément par se ressembler ?

Je n’ai rien accentué du tout, tout est vrai ! Nous sommes complètement à l’opposé. Deux mondes différents, deux cultures différentes. Et pourtant, nos amis nous disent souvent que nous avons la même voix et les mêmes intonations au téléphone.

Je pense que nous nous complétons beaucoup et que nos différences nous enrichissent.

Lorsque j’ai rencontré ma compagne, elle venait de fêter deux mariages, un sur une péniche au pied de la Tour Eiffel et l’autre au bas des Champs-Élysées. Et bien moi, je l’ai emmenée fêter un mariage de cht’is dans le sous-sol d’un pavillon de banlieue du 93, en faisant tourner les serviettes et en levant nos verres au frontibus, au montibus, au sexibus et glou et glou et glou !

Ma femme est d’une élégance naturelle ; même en jogging, on a l’impression qu’elle a une robe de soirée en-dessous, mais moi, bien sûr, même en tenue chic, on a l’impression que j’ai mon jogging en-dessous. En dix ans de vie commune, je n’ai pas réussi à lui ressembler.

Je ne souhaitais pas particulièrement lutter contre un préjugé en narrant nos oppositions mais il est vrai que ces dernières sont parfois tellement extrêmes que je n’ai pas pu m’empêcher de les coucher sur le papier.

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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