Free Love : Interview d’Ellen Page, l’interprète de Stacie Andree

actrice Ellen Page Freeheld interview

Interview accordée à Daniel D’Addario le 27 août 2015 pour le site Time.com

Ellen Page s’est fixé un nouveau but et ne lui dites surtout pas qu’elle est courageuse.

Huit ans après que son rôle à succès dans Juno a fait d’elle l’une des plus jeunes nommées à l’Oscar de la meilleure actrice, l’actrice canadienne assume aujourd’hui un rôle encore extrêmement rare au cinéma. Dans Free Love [qui bénéficiera d’une diffusion limitée dès le 2 octobre], elle interprète Stacie Andree, une lesbienne dont le couple a existé et été connu dans la vraie vie. Lorsque la compagne de Stacie, Laurel Hester [interprétée par Julianne Moore], fut diagnostiquée avec un cancer en phase terminale, le couple a lancé un appel pour que la pension de réversion de policière de Laurel soit transférée à Stacie, bien que le mariage leur était à l’époque refusé. Leur histoire a fait la une des journaux du pays et a ouvert le débat sur les droits maritaux des homosexuels alors que la bataille État par État pour le mariage gay, à laquelle la Cour Suprême a récemment mis fin, approchait. Leur histoire a fait l’objet d’un documentaire, vainqueur d’un Oscar, qui constitue la base de Free Love.

Un documentaire est une chose, un long-métrage avec deux grandes actrices en est une autre. En filmant la vie et les défis que doit relever un couple lesbien, Free Love reste une rareté dans un Hollywood qui privilégie toujours les histoires entre personnages hétérosexuels. Ce n’est alors pas étonnant qu’il ait fallu six ans pour réaliser ce film. Et c’est encore plus rare qu’une des actrices principales soit une star lesbienne out, prête à se battre pour ce en quoi elle croit.

Parmi les projets à venir d’Ellen Page, on compte l’émission Gaycation pour la chaîne Vice pour laquelle elle est allée interroger le candidat à la présidentielle Américaine, Ted Cruz, dans l’Iowa après cette interview-ci. Depuis son coming-out de l’année dernière, Ellen dit qu’elle a surmonté la déprime et qu’elle est maintenant « enthousiaste de vivre, motivée et inspirée ». Mais en lui demandant si accepter un rôle qui ne correspond pas à ce que Hollywood attend d’une actrice de 28 ans est « courageux », Ellen se hérisse, disant que « c’est à la limite de l’outrage ». Après tout, remarque-t-elle, ce film ne devrait même pas représenter un risque : « les gens veulent de la diversité. Ils en veulent. Qu’ils en soient conscients ou non ».

Ellen nous a parlé de son film, de la raison de son coming-out et de ce qu’elle a appris au lycée bouddhiste de Halifax.

Une fois que vous avez dit oui au projet Free Love, il a fallu six ans pour que le film se réalise. Comment cela s’est-il passé ?

À la base, je me suis engagée parce que Stacey Sher et Michael Shamberg, qui sont producteurs du film, m’ont envoyé le documentaire du même nom. Je tournais un film à Détroit à ce moment-là, et rien qu’à regarder la bande-annonce, sans même encore avoir vu le documentaire en lui-même, j’étais en larmes dans ma chambre d’hôtel. J’ai dit oui tout de suite. Et puis, ça prend du temps de trouver le scénariste, de conclure l’affaire et d’écrire l’histoire. Je suppose que six ans c’est long, mais obtenir des financements indépendants pour un film dont les personnages principaux sont deux femmes est, de toute façon, délicat.

Avez-vous rencontré Stacie ? Quelles autres recherches avez-vous faites pour ce rôle ?

Ce documentaire a vécu en moi pendant longtemps, je l’ai regardé de nombreuses fois au fil des ans. Il a pris une place importante dans ma vie et le scénario a fait partie de moi pendant un moment. Émotionnellement, je me suis sentie connectée à cette œuvre, elle m’a vraiment touchée. Stacie a été tellement gentille avec Julie et moi. J’ai passé un après-midi avec elle. Inutile de dire que c’était émotionnellement intense et difficile pour elle de parler de ces choses, mais son enthousiasme pour la discussion était vraiment beau et adorable.

Le côté physique de l’interprétation d’une femme qui manipule des pneus a dû être un sacré changement pour vous.

Ce n’était pas quelque chose que j’avais déjà eu l’occasion de faire avant. Je n’aime pas utiliser ces termes parce que j’ai l’impression que c’est très réducteur, mais c’est plus un truc de garçon. Il a juste fallu que je m’y habitue et que j’en fasse plus, j’ai dû me renforcer un peu.

Je crois qu’étant donné l’effet que cela pourrait avoir sur votre carrière, ce rôle est ce que les gens ont tendance à appeler un rôle « courageux ». Que pensez-vous de ce terme lorsqu’il est attribué aux acteurs ?

Peut-être que ce n’est pas la chose à dire, mais j’ai du mal lorsque les gens disent que les acteurs sont courageux. Je ne comprends pas vraiment, parce que notre travail consiste à lire des mots sur une page.

Mais malheureusement, il n’y a pas beaucoup de films sur des personnes LGBTQ, donc ça semble logique que les acteurs prennent un risque avec leur carrière en acceptant ces rôles.

Lorsque les gens sont [dits] courageux quand ils interprètent des personnages LGBTQ, c’est à la limite de l’outrage. On ne me considèrera jamais comme courageuse pour avoir interprété une personne hétéro, et à raison. C’est difficile de dire ça parce que le contexte du film est vraiment tragique, mais j’ai ressenti un réel sentiment de paix sur ce plateau, un sentiment que je n’avais pas ressenti depuis longtemps, probablement depuis mon adolescence lors de mes premiers beaux moments cinématographiques. Il y avait quelque chose dans le fait d’être out, de jouer un personnage homo, de jouer une femme qui est une telle source d’inspiration pour moi, qui a rendu cette expérience extraordinaire. Honnêtement, je serais ravie de pouvoir jouer des rôles gays pour le reste de ma carrière. J’aimerais pouvoir.

Allez-vous essayer de vous impliquer davantage du côté production maintenant ?

Oui, j’ai… il y a un projet en cours en ce moment qui n’a pas encore été annoncé. Je ne peux pas vraiment en parler. Et j’ai deux [projets à venir] qui sont… « gays ». C’est même pénible de devoir les appeler comme ça, mais, oui, ça concerne deux personnes de même sexe. Ces histoires m’intéressent. Inutile de préciser que je suis aussi ravie de jouer un personnage hétérosexuel, du moment qu’il me parle. Mais je suis gay, donc quand je vais au ciné et que je vois La Vie d’Adèle, quel plaisir absolu ! Parce qu’alors on peut voir quelque chose qui au moins se rapproche de nos expériences vécues en tant que lesbiennes. C’est probablement plus égoïste.

C’est intéressant que beaucoup de gens perçoivent des films tels que La Vie d’Adèle ou Freeheld comme des « films gays », de la même manière qu’un film type Selma est catégorisé comme un « film Noir ».

Il est évident que c’est là qu’est le problème, particulièrement pour la communauté LGBT, mais aussi pour toute minorité. Les Amérindiens américains et canadiens : où sont leurs histoires ? Je veux voir ces histoires ! Et j’espère que le changement se fera très bientôt maintenant. De par ce que regardent les gens à la télévision, il est évident qu’ils veulent de la diversité. Ils en veulent. Qu’ils en soient conscients ou non, je n’en suis pas sûre. Mais prenez Orange is the New Black. On découvre des acteurs extraordinaires que l’on n’aurait peut-être jamais découverts si la série n’avait pas existé. Ça me rend enthousiaste parce que tout l’intérêt d’aller voir un film est de disparaitre dans un autre monde, de connecter son humanité à celle de quelqu’un d’autre, quelqu’un que vous ne rencontrerez peut-être jamais dans la vie ! Émouvoir, faire ressentir de la compassion, ce sont des choses merveilleuses dont tous les arts sont capables et en particulier les films ! Je veux voir des histoires gays parce que je suis gay et que je veux apercevoir un reflet de ma vie dans les films. Mais je veux aussi savoir ce que c’est d’être un jeune amérindien, un afro-américain, un afro-canadien. Avec un peu de chance, cela continuera à évoluer.

Lorsque vous avez signé pour Free Love, vous n’étiez pas publiquement out…

J’étais très très très au fond du placard.

Donc, en 2014, vous avez fait votre coming-out lors d’un discours à la conférence de l’Human Rights Campaign. Est-ce que Free Love vous a convaincu que c’était le moment ?

Je crois que c’était un ensemble de plusieurs choses. Il s’agissait en grande partie de ma propre évolution, qui était séparée de tout ça. Et puis, ensuite, lorsque vous lisez l’histoire de Stacie et Laurel et que vous savez que vous allez la raconter à l’écran, vous vous dites « C’est obligé que je devienne une lesbienne out active en faisant ce film ».

Je me souviens avoir regardé le documentaire sur les Pussy Riot et penser « Oh mon Dieu. Quel courage ces gens ». Genre « Allez, fais ton coming-out, dis juste que tu es gay. Tu es privilégiée, tu as une famille. Tu n’as aucune excuse ». Pour être honnête avec vous, j’en étais arrivée au point où je me sentais coupable, et je crois que c’était un sentiment absolument justifié. C’était devenu une espèce d’impératif moral que de se faire entendre. Je sais qu’il y a eu beaucoup de progrès, mais il reste encore tellement de souffrances en Amérique, au Canada et partout dans le monde.

A propos de Lou Morin

Traductrice Anglais/Français

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