I Can’t Think Straight : Interview de Sheetal Sheth, l’interprète de Leyla

I Can’t Think Straight : Interview de Sheetal Sheth, l'interprète de Leyla

Interview accordée à Rachel Beebe en 2008 pour le site Curvemag.com

Avec ses grands yeux marron, son teint parfait et son drôle de sourire qui donnerait des jambes en coton à n’importe quelle gouine, l’actrice Sheetal Sheth a fait son entrée sur la scène du cinéma lesbien en interprétant Leyla dans la comédie romantique à succès I Can’t Think Straight (Je ne suis pas en état de penser). [NDLT : à noter le subtil jeu de mots avec straight = hétéro] L’histoire, inspirée de la propre relation entre la réalisatrice Shamim Sarif et la productrice Hanan Kattan dépeint la timide écrivaine en herbe alors qu’elle rencontre, tombe amoureuse puis courtise la sublime Tala, incarnée par la talentueuse actrice internationale Lisa Ray. À l’écran, leur duo dégagea une telle alchimie que Sarif les a réunies à nouveau dans The World Unseen (Le Monde Invisible), un drame situé dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid. Sheth n’est d’ailleurs pas novice dans les rôles controversés. Déjà en 1999, dans le film ABCD, elle jouait une jeune fille aux mœurs légères, se débattant contre les attentes familiales et la tradition. Puis en 2005, elle se fit unanimement remarquer dans le film d’Albert Brooks Looking for Comedy in the Muslim World (À la recherche de l’humour dans le monde musulman). Aujourd’hui, l’actrice primée répond à nos questions, notamment ce qui l’a poussée vers des rôles lesbiens et comment c’était de travailler avec (et d’embrasser) Lisa Ray.

Dans votre nouveau film I Can’t Think Straight, Leyla et Tala doivent toutes deux choisir entre être honnêtes avec elles-mêmes ou s’intégrer dans leurs familles conservatrices. Avez-vous déjà eu à faire ce choix ?

J’ai effectivement dû faire face à des choix et des décisions difficiles et personnellement, ce que je retiens de Leyla, c’est d’essayer d’être le plus vrai possible dans sa vie. Et très souvent, ça ne cadre pas avec ce que les gens attendent de vous ou l’idée qu’ils se font de vous, que ce soit les amis ou la famille ou bien, vous savez, toutes ces personnes dans votre vie qui vous sont chères et qui n’approuvent pas forcément vos choix… En ce qui me concerne, si à la fin de la journée je peux m’endormir et savoir que je suis aussi vraie que possible et vivre aussi sincèrement et avec toute la bonté et l’honnêteté dont je suis capable, au final c’est tout ce qui compte vraiment. Et c’est dur. Certains jours le sont plus que d’autres mais c’est tout l’intérêt de comprendre qu’une grande part de tout ça n’a rien à voir avec vous-même mais tout à voir avec la façon de penser des autres. Très tôt, j’ai décidé de définir la réussite selon mes critères et ça m’a vraiment apporté la liberté de ne plus me soucier autant de tout ça.

Ce qui est admirable chez Leyla, c’est cette façon qu’elle a d’être aussi honnête avec elle-même. On dirait qu’elle prend juste cette décision : “C’est terminé, je ne veux plus faire ça. Et vous devez respecter mon choix. “

Oui, je trouve que c’est intéressant car dans son cas, vous voyez, aussi maladroite et introvertie qu’elle soit au début, elle a toujours eu ce feu sacré en elle, et c’est ce qui m’a tout de suite attirée chez elle dans le script. Elle a toujours eu cette fougue, tout était là, son seul problème était de trouver un moyen de l’exprimer, vous comprenez.

J’ai lu que plusieurs actrices avaient refusé le rôle de Leyla à cause des scènes de sexe entre femmes. Qu’est-ce qui vous a fait accepter ?

Vous savez, Shamim m’a parlé de ça, mais j’ai été surprise parce que je n’y avais jamais réfléchi de cette façon. Vous voyez, ça ne m’est même pas venu à l’idée d’aborder le sujet parce que j’ai juste lu le script et pensé “Waw, quelle belle histoire d’amour.” Donc je n’y ai même pas pensé, je n’ai même pas soulevé la question et quand on répétait et travaillait dessus, pour moi, si je joue avec un inconnu, que ce soit un homme ou une femme, c’est la même chose.  [rires]… Ce que je veux dire, c’est que l’amour c’est l’amour. On pourrait espérer que ce soit comme ça pour tout le monde. Donc jouer une scène d’amour avec un homme ou une femme que je ne connais pas, honnêtement, c’est pareil. J’ai fait tellement de scènes d’amour avec des hommes que sincèrement, je n’y ai même pas réfléchi. J’ai juste pensé, quelle belle histoire d’amour, il se trouve juste que c’est avec une femme et c’est tout aussi parlant. Je voulais juste faire partie de ça.

Était-ce un challenge pour vous de jouer une lesbienne qui commence tout juste à s’assumer ?

Je n’ai pas vu ça sous cet angle… Quand je réfléchissais à Leyla et quand je travaillais mon personnage, j’ai pensé “OK, je joue une femme qui essaie d’être elle-même de la façon la plus honnête possible et je peux m’identifier à ça.” Je peux me remémorer cette période de transition où on commence tout juste à trouver sa voie et à faire avec… La scène du coming out a été difficile. Pas parce que c’était un coming out, mais à cause des émotions qui en ressortaient.

La scène où elle révèle son homosexualité à son père et sa mère ?

Oui, et c’est intéressant car en fait, dans le script, la scène était même plus longue que dans le film, et donc nous avons beaucoup tourné et encore une fois, ce n’était pas  le coming out, c’était en fait comme, vous voyez, arriver au sommet d’un immeuble, au sommet de n’importe quoi et juste dire “Voilà qui je suis. Écoutez-moi. Pourquoi vous ne voyez pas ?” Et vous savez, ce sont les personnes que vous aimez plus que tout et vous en fait, vous essayez de les atteindre et de partager avec elles et elles ne le voient pas. Donc c’était vraiment poignant et touchant parce que je peux comprendre ça et… Cette scène en particulier m’est chère parce que je trouve qu’on peut tous s’identifier à ce sentiment de : “Pourquoi n’arrivez-vous pas à me voir ?”

Et d’une certaine façon, tout le monde est confronté à ça avec ses parents au cours de sa vie.

Avec ses parents, sa famille, son partenaire, avec son –peu importe ; ça arrive tout le temps et c’était juste le point de rupture. Ce sont ces personnes qui savent comment vous faire réagir, qui savent exactement comment vous atteindre, et qui continuent à le faire, vous voyez ? C’est ce qui fait le plus mal.

Il y a eu des débats critiques pour savoir si I Can’t Think Straight réussissait à équilibrer la dureté des sujets abordés tels que les questions politiques, culturelles, la sexualité avec cet humour utilisé pour les adoucir. Une comédie romantique lesbienne peut-elle traiter de problèmes aussi sérieux tout en restant légère ?

Vous savez, je respecte les opinions de chacun, vous voyez, tant qu’elles viennent de personnes objectives et intelligentes. Un film ne peut pas plaire à tout le monde. Certaines personnes aiment les pommes, d’autres les oranges, c’est comme ça. Ce qu’on espère avec ce film, c’est faire un exemple, un film émouvant qui pourrait peut-être aider s’il vous donne un élément de réponse dans votre propre vie et vous aide à voir ce que vous pouvez faire afin de vivre plus honnêtement ou plus pleinement ou quel que soit le cas, alors, c’est parfait, on aura fait notre travail. En règle générale, j’ai constaté que quand les films mettent les gens mal à l’aise, c’est souvent parce que ça les confronte à quelque chose qu’ils refusent d’affronter ou de voir, vous voyez, ça les pique au vif… J’ai trouvé que c’était agréable d’avoir ce genre de légèreté entre Leyla et Tala. Au bout du compte, elles tombent amoureuses et c’est ce que raconte l’histoire. Mais je trouvais aussi le contexte politique extrêmement intéressant parce que c’est ce qui se passe, c’est pertinent, c’est actuel et c’est ce qui arriverait, c’est réaliste. Aussi, il y aura des personnes qui n’auront vécu aucune des tranches de vie de l’histoire, qui ne s’imaginent même pas que ça existe… Vous voyez, chacun a sa place et son discours mais je pense que ce film est important et je pense qu’il vaut la peine d’être vu. Je le crois vraiment et je pense être objective. Je crois que chacun peut y trouver quelque chose.

C’était comment de travailler avec Lisa Ray ?

Lisa et moi avons des approches et des façons très différentes de travailler et d’aborder les choses, ce qui est toujours bénéfique… Car selon moi, plus vous avez d’idées et plus le mélange sera riche. C’était notre premier film ensemble et je pense que quelque part nous nous découvrions peu à peu, ce qui nous a servi pour la dynamique entre les deux personnages.

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