Interview de la scénariste Noelle Carbone

Interview liée à la série Rookie Blue

Noelle Carbone - rookie blue - saving hope

Interview accordée à Erin Faith Wilson le 26 août 2015 pour le site Afterellen.com

Alors que cette saison de Rookie Blue touche à sa fin, nous avons eu la chance de discuter avec Noelle Carbone, une scénariste lesbienne qui travaille sur la série depuis cinq saisons. Nous avons discuté avec elle du fait d’être la voix des lesbiennes à la télé, de ce qu’elle aimerait qu’il arrive à Gail Peck et de ce que l’on peut attendre de la nouvelle histoire lesbienne de son autre série, Saving Hope.

En tant que lesbienne, essayez-vous toujours d’inclure un personnage lesbien dans les séries pour lesquelles vous écrivez ? Ou bien n’avez-vous aucun pouvoir là-dessus ?

Oh oui, j’essaie toujours de mettre un peu d’action féminine dans les séries sur lesquelles je travaille. Pas seulement parce qu’il est important pour moi que ma vie et mes relations soient représentées à l’écran, mais aussi parce que la télé est un excellent outil de normalisation. Tout le monde regarde la télé, même les personnes qui ont une vision du monde bien plus étriquée que la mienne. Et si ces gens voient un personnage lesbien relativement normal (ou un couple homo) à la télé et que ce personnage (ou ce couple) fait des choses cool relativement normales, alors peut-être que leurs défenses s’abaisseront un petit peu.

En parlant d’inclure des histoires LGBTQ, lorsque je débutais, un producteur m’a dit de ne pas me cataloguer comme scénariste lesbienne, d’arrêter d’écrire et de promouvoir des histoires LGBTQ tout le temps. Le conseil partait d’une bonne attention, mais il était aussi un peu ridicule. Est-ce que l’on demande aux scénaristes hétéros d’arrêter de promouvoir leur « programme hétéro » à chaque fois qu’ils écrivent des personnages hétéros ? Bref, ce conseil m’a marquée et j’ai commencé à éviter de raconter ce type d’histoires. J’ai arrêté de me faire l’avocate de la représentation LGBTQ dans les séries sur lesquelles je travaillais. C’est probablement la chose que je regrette le plus concernant ces premières années. Bien entendu, maintenant, je n’ai plus peur d’être cataloguée. Je serais flattée qu’écrire de super personnages lesbiens devienne « mon truc ».

Alors, non seulement vous plaidez en faveur des histoires LGBTQ à la télé, mais en plus vous êtes canadienne, et comme vous le savez, les Canadiens occupent une place spéciale dans mon cœur ! Selon vous, y a-t-il une différence entre écrire pour une série canadienne et une série américaine ?

[Rires] Autant que je sache, la seule différence est le nombre de fois où vous devez réenregistrer les acteurs dire « about » et « route ». Histoire vraie : dans la saison 1 de Rookie Blue, certains acteurs ont passé beaucoup de temps en postproduction sur le logiciel de montage audio à se réenregistrer pour dire ces mots-là. Le truc c’est qu’apparemment les Américains peuvent flairer l’accent canadien et dès qu’ils en sentent un relent, ils changent de chaîne. Bon, je ne sais pas si c’est vrai, il faudra que vous interrogiez des Américains. Mis à part ça, je ne crois pas qu’il y ait de différence. Vous racontez une bonne histoire avec de bons personnages et les gens y répondent. Peu importe leur pays d’origine.

Lorsque dans l’équipe de scénaristes vous décidez qu’un des personnages principaux de la série sortira du placard, comment déterminez-vous qui sera gay ? Quel est le processus que vous suivez pour faire devenir un personnage homo ?

Concernant Gail dans Rookie Blue, tout est dû à Charlotte [ndlt : Charlotte Sullivan, l’interprète de Gail Peck]. Elle soutenait que Gail était lesbienne des années avant que l’on écrive réellement son histoire. En fait, je crois même qu’elle a donné une interview où elle disait, face à la caméra, que Gail était gay. Donc Tassie et nous tous nous sommes dit « Bon, je suppose qu’on ferait mieux de commencer à écrire cette histoire-là alors ». Mais tout le mérite revient à Charlotte, elle a ressenti très fortement que c’était l’identité de son personnage, que la raison pour laquelle Gail était toujours aussi mal dans sa peau, la raison pour laquelle elle ne s’intégrait pas très bien avec les autres bleus était qu’elle cachait qui elle était. Ceci dit, je crois que c’est très rare que la sexualité d’un personnage soit décidée par l’acteur qui l’interprète et non pas par l’équipe de scénaristes.

J’aime imaginer que les autres séries ont une roue brillante géante avec les visages des personnages collés dessus. Et au début d’une saison, ils tournent la roue et BOUM, celui qui est désigné par l’aiguille est homo.

[Rires] Diriez-vous que vous êtes la personne à qui s’adresser si l’on a des questions sur le fait que tel personnage lesbien est authentique ou pas ?

Oui et non. J’ai écrit Gail comme la personne que je serais si je me fichais de ce que les autres pensaient de moi. Dans un certain sens, Gail c’est moi sans filtre. Et en bien plus sexy, soyons réalistes ! C’est indépendant de ma sexualité et de la sienne. Ce n’est pas comme si je projetais ma vie privée sur elle. Et Dieu merci parce que ma vie privée ne conviendrait pas à la télé. Si vous me voyiez avec ma femme et mon enfant vous vous diriez « Waouh, cette famille s’aime vraiment, mais qu’est-ce que c’est chiant. Elles n’étaient pas censées se tromper et se courir après sous la pluie pendant que Tegan & Sara jouaient en arrière-plan ?! » Et on ne fait pas ça. Déjà parce que courir sous la pluie est dangereux et aussi parce que ce n’est pas qui je suis. Je préfèrerais avoir une discussion rationnelle, au sec, autour de la table à manger. C’est plus mon truc. Et ça, ça n’intéresse personne.

On ne sait jamais, peut-être que quelqu’un serait intéressé !

[Rires] Après, en ce qui concerne les expériences qui sont particulières à la communauté LGBT, je serais heureuse d’être la personne à qui s’adresser et de donner mon point de vue avec des anecdotes de mon passé semé d’embûches. Après tout, à quoi toute cette période à l’université à pleurer/hurler/me battre avec mes « coloc » »/boire/sortir du placard/tromper/être trompée/courir dans les rues aurait servi si je ne pouvais pas, à terme, l’exploiter pour le bien de mon avenir professionnel ?

Est-ce déjà arrivé que quelqu’un d’autre ait écrit quelque chose sur/pour des personnages lesbiens et que vous ayez dû mettre le holà, genre « Non, ça ce n’est pas réel » ?

Je ne me souviens que de deux ou trois fois où j’ai dû jouer la carte du « Je suis une scénariste lesbienne, donc il faut que vous m’écoutiez ». L’une d’entre elles était lorsque Gail pince les fesses de l’assistante sociale Lauralee dans la saison 5/6. C’était censé être un acte impulsif, inattendu de la part de Gail qui en est ensuite tout de suite gênée. Puis, Lauralee la soulage en lui pinçant à son tour les fesses. C’est ce qui avait été écrit et tourné pendant que j’étais en « congé paternité ». Lorsque je suis revenue travailler et que j’ai vu la scène, j’ai dit « Il faut qu’on retire ça. Les gens vont penser qu’ON PENSE que c’est comme ça que les lesbiennes se disent qu’elles sont attirées l’une par l’autre, comme une espèce de rituel d’accouplement lesbien bizarre ». Ils ont fini par enlever le second pinçage de fesses. Puis, l’épisode a été diffusé et j’ai reçu pas mal de tweets me demandant si à cause du pinçage de Gail, Lauralee allait l’attaquer pour harcèlement sexuel. Donc, en réalité, j’ai empiré les choses [rires].

Puisque Charlotte Sullivan soutenait le fait que Gail était lesbienne depuis bien avant qu’elle ne fasse réellement son coming-out dans la série, l’équipe des scénaristes a-t-elle été unanime quant à lui faire faire son coming-out, ou y a-t-il eu des hésitations ?

Charlotte Sullivan est une femme exceptionnelle. Elle est incroyablement gentille, généreuse, marrante et carrément barjot, dans le très bon sens du terme. Elle ne fait pas beaucoup de revendications. En réalité, elle n’en fait aucune. Donc, lorsqu’elle a dit qu’elle sentait au fond d’elle que Gail était lesbienne, on l’a tous écoutée. Comme j’ai dit, le coming-out de Gail était entièrement son idée et bien qu’il ait fallu qu’elle nous convainque, ses certitudes nous ont finalement persuadés.

Le truc bizarre avec un personnage LGBTQ dans une série c’est que ça fait intervenir les maths. Disons que vous avez six personnages et que vous vouliez que l’un d’entre eux soit lesbien. S’il n’y a pas d’autres femmes homos dans la série, avec qui va-t-elle avoir une relation ? Il vous faut donc parachuter un personnage extérieur qui lui servira de petite-copine. Ces personnages extérieurs sont A) interprétés par une guest-star qui ne sera pas toujours disponible quand vous aurez besoin d’elle et B) généralement pas essentiels à l’histoire principale et il est donc difficile de les intégrer à chaque épisode. Et il est vraiment difficile de développer une relation authentique qui vaille le coup entre deux personnages qui sont rarement à l’écran ensemble.

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A propos de Lou Morin

Traductrice Anglais/Français

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