Bloomington : Interview de la scénariste, réalisatrice et éditrice Fernanda Cardoso

Bloomington : Interview de la scénariste, réalisatrice et éditrice Fernanda Cardoso

Interview accordée à l'équipe d'Univers-L le 08 Novembre 2010 pour le site Univers-L.com

Il s’agit de votre premier long-métrage et vous y tenez de nombreuses casquettes : scénariste, réalisatrice, éditrice. Comment avez-vous fait pour tout concilier ?

En fait, tout n’arrive pas en même temps, ce qui est une bonne chose. J’ai aussi reçu beaucoup d’aide d’ami(e)s à différents stades. Réaliser ce projet a pris très longtemps, donc j’ai dû gérer ces différentes tâches à différentes périodes.

Combien de temps a pris la réalisation du film ? De l’idée de départ à la post production en passant par l’écriture du scénario, le casting, la localisation des lieux de tournage ?

Le processus dans son intégralité, depuis le concept original jusqu’à l’achèvement de la post production a pris presque six ans. L’idée de départ de l’histoire m’est venue en automne 2004 et le film a été totalement achevé en mai 2010. L’écriture du script en lui-même a débuté vers avril 2006 et ne s’est pas terminée avant novembre 2008 (je suis passée par de nombreux brouillons, 6 ou 7 peut-être, ou même plus). Il fallait que les auditions aient lieu très rapidement ! On a eu quelques “faux départs” en matière de production, donc ça nous a laissé très peu de temps pour les auditions. Les deux directrices de casting (Natalie Ballesteros à Los Angeles et Marx Pyle dans l’Indiana) disposaient de 3 semaines pour auditionner tous leurs rôles. C’était un peu la folie ! Et avec le recul, je n’arrive pas à croire que tout se soit déroulé si bien. Je suis très heureuse de tous les talents que nous avons trouvés. La chasse aux lieux a aussi été démentielle. Jason Shumway (le producteur) y a travaillé dur, surtout sachant qu’on avait très peu de budget dans l’ensemble. Nous avons tourné le film au mois d’avril 2009, donc je dirais que le choix des lieux s’est fait durant les 3 premiers mois de cette année.

Certains films traitant du “voyage initiatique amoureux” vous ont-ils marquée ? Si oui, lesquels ?

Oui, je dirais que je suis fan des films initiatiques en général. Je les trouve toujours intéressants, qu’ils traitent des premières amours ou pas, ou qu’ils mettent en scène des filles ou des garçons, gay ou hétéros. Ceux qui me viennent en premier à l’esprit sont Blue Car, My Summer of Love, Igby Goes Down, et Lost & Delirious.

Vous auriez pu jouer sur le côté sulfureux et séduisant de la relation prof/élève et pourtant ce n’est pas du tout le cas dans votre film. L’histoire est avant tout basée sur les deux personnages mais l’accent est mis sur leur psychologie et leurs luttes intérieures. Pourquoi ce choix ?      

Eh bien, je pense que ça vient d’abord du fait que je parlais de deux personnages qui ont une vie privée très différente de leur vie publique ; chacune pour des raisons qui leur sont propres. Je suis quelqu’un de très curieux dans la vraie vie donc j’ai toujours envie de savoir ce que les gens font derrière les portes closes, ce dont ils parlent réellement et ce qu’ils sont vraiment lorsqu’ils baissent leur garde, ce genre de choses. Jackie a été “célèbre” pendant une période de sa vie et est par conséquent très bien entraînée à maintenir une certaine image en public. Catherine est l’une des figures publiques de l’Université et a également une image à entretenir. J’aurais tendance à penser que c’est le genre de personnes que vous ne connaîtrez jamais vraiment à moins d’avoir l’occasion de vous approcher d’elles de très près. Ce qu’elles montrent à l’extérieur et qui elles sont réellement sont deux choses totalement différentes, et cette deuxième réalité est beaucoup plus intéressante pour moi. Je pense qu’une chose est sûre, c’est que Jackie et Catherine étaient heureuses de pouvoir enfin être elles-mêmes ensemble, même pendant une période de temps limitée.

Pouvez-vous nous expliquer ce que représente le campus de  Bloomington dans l’Indiana pour vous ou pour le public américain ? Pourquoi avoir donné ce titre à ce film ? En aviez-vous imaginé d’autres ? Lesquels ?

Ha ! Vous m’avez eue sur ce coup-là ! Bloomington n’était pas le titre initial du projet. Au moment où j’ai écrit le script, ça s’appelait East of Neptune. Je ne l’ai appelé Bloomington qu’après avoir décidé de tourner dans l’Indiana. La vérité, c’est que le script s’est fait “balader” par tellement de gens et de sociétés pendant tellement longtemps que je voulais lui donner un nouveau départ. Pour une raison que j’ignore, je suis tombée amoureuse du nom Bloomington et j’ai décidé que ce serait un bon titre pour le projet. En réalité nous n’avons pas tourné à Bloomington et le seul contact que j’ai jamais eu avec cette ville se résume à y avoir dîné une fois. Pour la petite histoire, Jason Shumway déteste le nouveau titre bien que lui-même soit allé à la Fac de Bloomington. C’est drôle, pas vrai ?

Le fait que les protagonistes soient deux femmes n’a finalement pas tant d’importance que cela. Ce qui compte vraiment c’est leur passé. C’est quelque chose que vous avez toujours souhaité ? 

Je suppose que oui. Et je suis ravie que vous le ressentiez de cette façon. Pour être honnête, je n’ai jamais considéré l’histoire sous un autre angle. Quand l’idée de départ m’est venue, j’ai juste imaginé deux femmes, l’une jeune et l’autre plus âgée, couchant ensemble pour la première fois et comment se déroulerait cette nuit. C’était tout. Je n’ai jamais essayé de les changer en quoi que ce soit d’autre, c’est juste comme ça que ça m’est venu. Je pense que pour moi, l’aspect le plus intéressant était le fossé entre leurs “niveaux d’expérience” et non pas le fait qu’elles soient du même sexe. C’est ça que je voulais vraiment explorer.

Vous qui avez créé Jackie et Catherine, considérez-vous qu’elles sont lesbiennes ou bisexuelles ? Pensez-vous que cela a de l’importance pour elles ?

C’est drôle, parce que j’ai entendu Catherine être qualifiée de bisexuelle à plusieurs reprises. Voilà mon avis sur la question : je pense qu’elles sont effectivement toutes les deux lesbiennes. Ce qu’il y a c’est qu’on n’a pas toujours la possibilité d’être soi-même tout le temps et dans tous les aspects de notre vie, mais ça ne nous rend pas moins lesbiennes pour autant. J’ai grandi à Sao Paulo entre 1980 et 1995 et j’ai toujours pensé que ça ne serait pas prudent d’avoir une petite amie. J’ai d’ailleurs eu quelques petits amis à l’école. Comme je l’ai déjà dit, Catherine et Jackie doivent toutes les deux maintenir une certaine image et donc les contours entre qui elles sont vraiment et ce qu’elles doivent paraître deviennent flous parfois.

Lors de la soirée où Jackie convie Catherine à l’accompagner en tant qu’”amie”, elle se sert d’elle et refuse de révéler leur liaison. Pense-t-elle qu’elle risque de se fermer des portes si elle fait son coming out ? Quel est votre avis sur la question des actrices “out” dans le cinéma, aujourd’hui ?

Je pense que Jackie avait besoin d’un peu de temps pour définir comment gérer ce nouvel aspect de sa vie (le fait d’avoir une petite amie) et présenter Catherine comme une “amie” était seulement un mouvement de panique de sa part. Je pense que Jackie n’a pas réalisé combien c’était grossier envers Catherine ou combien elle serait blessée. Je ne pense vraiment pas qu’elle voulait se garder des options ou quoi que ce soit. Jackie aimait profondément Catherine et à ce moment-là, elle voulait vraiment concilier carrière et vie amoureuse. Quant aux actrices faisant leur coming out, je pense que les choses s’améliorent tout doucement mais je peux comprendre qu’on veuille être prudent sur ce genre d’informations, même de nos jours.

La manière dont Catherine coupe la viande de Jackie dans son assiette, dont elle l’entoure d’attention donne l’impression qu’elle la considère plus comme une enfant que comme une adulte responsable. Pourquoi avoir choisi de donner une vision si maternelle de leur relation ? 

C’est drôle ! Je me fais souvent attaquer sur ce sujet ! Vous voyez, pour moi, ce n’est pas tant le fait d’être “maternelle” mais plutôt l’idée de prendre soin d’une personne, et par conséquent d’avoir de l’emprise sur elle qui était attrayant pour Catherine. On prend soin des chiots et des chatons tout le temps, mais on définit rarement ça comme “être maternel”. Vous ne diriez pas que le garçon dans Old Yeller [Fidèle vagabond] essayait d’être un père pour ce chien juste parce qu’il soignait ses plaies… Mais j’admets que Catherine apprécie assez le fait que Jackie soit dépendante d’elle quelquefois et que quand cela a pris fin (quand Jackie a récupéré son rôle et était sur le point de partir) ça a vraiment posé problème à Catherine.

Avez-vous conscience de la ressemblance physique entre Catherine et la mère de Jackie ? Était-ce volontaire ?  

Honnêtement, je pense que ça s’est fait pendant le casting plus qu’autre chose. Si vous me demandez si je l’ai fait volontairement, alors la réponse est non. En tenant compte de comment les personnages ont été écrits dans le script, je pense que ce sont deux personnes bien différentes. J’admets qu’elles ont toutes les deux le même problème pour accepter l’indépendance de Jackie mais je continue de croire qu’elles sont très différentes.

La relation entre Jackie et Catherine semble pour elles deux la première relation amoureuse authentique et vraie qu’elles aient connue, pourtant, leur histoire n’est qu’une étape pour apprendre à mieux se connaître et prendre confiance en soi. Alors, s’aiment-elles vraiment ou se servent-elles l’une de l’autre ?

Oh, je pense que c’est un amour sincère, sans aucun doute ! Je pense qu’elles sont toutes les deux trop réservées et complexées pour se servir l’une de l’autre de cette façon, surtout Jackie. Je présente toujours le film comme une histoire d’amour entre deux “poissons hors de l’eau” qui se trouvent et réussissent à s’ouvrir pour ce qui est sûrement la première fois de leurs vies. C’est assurément quelque chose de nouveau pour toutes les deux.

À travers la leçon de pilotage, l’audition de Jackie pour “Neptune 26” et les préliminaires de la scène d’amour aux dialogues décalés, avez-vous laissé parler votre amour pour la science-fiction ?

Haha ! NON ! Autant que vous le sachiez, je n’aime pas la science-fiction plus que ça. C’était le cas quand j’étais très jeune, mais plus maintenant. Je pense que je trouve ça juste intéressant que ces personnes prennent tellement au sérieux leur passion pour ce genre. C’est vraiment tout ce que je voulais capturer. Mais j’ai un bon nombre d’amis amateurs de ce genre de choses. J’ai vécu avec une colocataire fan de Star Trek pendant 8 ans !

Vous êtes d’origine brésilienne. Savez-vous comment votre film a été accueilli dans votre pays natal ? Quel a été l’accueil dans les festivals où il a été présenté ?

Je découvrirai comment mon film est accueilli au Brésil dans environ deux heures, puisque je suis sur le départ pour ma toute première projection à Sao Paulo ! Les réactions dans les festivals ont été sympas et variées. Certaines personnes l’aiment, d’autres pas, ce qui est plutôt normal je pense. Je me réjouis juste que les gens aient l’air de se divertir et de ne pas trop s’ennuyer. C’est vraiment tout ce qu’on peut espérer pour son premier long-métrage, non ?

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Je suis en train d’écrire mon second script. Nous verrons bien ce qu’il en sortira. Je n’aurais jamais cru que celui-ci se ferait, donc naturellement, je ne pense pas que le deuxième se fera non plus. Mais on ne sait jamais ! Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il s’agit d’un film d’horreur. Pas de romance cette fois-ci.

Traduction Magali Pumpkin

Fernanda Cardoso

Fernanda Cardoso et Allison McAtee sur le plateau du tournage de Bloomington

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