Gossip : Interview de la chanteuse Beth Ditto

Beth Ditto

Interview accordée à Katie Mulloy pour le magazine Marie Claire UK en Septembre 2010

L’infatigable Beth Ditto nous parle de sa vision des grandes tailles, de sa nouvelle collection de mode, d’être la “meilleure amie” de Kate Moss et de ses projets de maternité.

On est au milieu d’une anecdote sur Kate Moss quand Beth Ditto baisse les yeux sur son T-shirt jaune moutarde Vivienne Westwood ; tellement trop grand que lorsqu’elle se redresse sur le fauteuil en face de moi, il descend et flotte quelques centimètres au-dessus de ses genoux pâles. « Au fait, je ne porte pas de soutien-gorge, » m’annonce-t-elle soudainement. « C’était un soutien-gorge sans bretelles et il me faisait mal alors je l’ai enlevé. »

Je n’avais pas remarqué. Est-ce que j’aurais dû ?

« Non, je viens de m’en rendre compte. Je dois être vraiment fatiguée et perdre l’esprit parce que ça ne me ressemble pas… »

Ménager sa pudeur n’est pas ce qui vous vient en premier à l’esprit s’agissant de la leader hors normes du groupe Gossip, qui n’a que faire de se produire sans jupe, ses magnifiques cuisses s’échappant de sa gaine. L’autoproclamée “grosse féministe lesbienne de l’Arkansas” peut-elle vraiment se soucier d’un détail aussi insignifiant qu’un soutien-gorge absent ?

« C’est quelque chose que ma mère m’a enfoncé dans le crâne. J’ai porté des soutiens-gorge très rapidement car j’ai eu des formes très jeune. C’est sûrement la première interview que je donne en face à face sans soutien-gorge, » rit-elle. C’est typique de Beth Ditto. Non seulement son honnêteté sans fard, qui vous en donnera toujours plus que ce que vous aviez demandé, mais aussi cette véritable paix qu’elle semble ressentir vis-à-vis de son corps. C’est le genre de confiance qui vient quand on peut se focaliser sur ses défauts aussi facilement qu’on peut les minimiser. Parce que vous pouvez oublier qu’il ne s’agit que d’un corps – enfin, du sien – et pas d’un objet de débats. Tout le monde, de Germaine Greer aux chroniqueurs de GQ s’en sont servis pour prouver quelques majeures théories culturelles.

Sûrement que pour quelqu’un qui a connu ça toute sa vie, dont la propre grand-mère lui disait de courir quelques tours autour de la maison pour être mince et jolie comme ses cousines, le regard insistant est fatigant. « J’ai toujours été heureuse de susciter le débat, » dit-elle, en retenant un bâillement. Insomniaque chronique, elle n’a pas dormi depuis “30 heures et quelques”. Elle s’excuse à plusieurs reprises de planer à ce point, alors que c’est une des personnes interviewées les plus charmantes, avenantes, dont vous pourriez rêver, avec sa voix berçante au doux accent du Sud. « C’est comme… Je me considère comme une activiste de la grosseur. Je ne pense pas que le mot “gros” [ça sonne “grooos”, quand elle le prononce] soit négatif et je ne le trouve pas insultant. Je trouve drôles les blagues sur les gros. »

Donc son personnage n’est pas (seulement) un étendard pour l’acceptation des gros ou un “allez vous faire foutre” à l’attention des fascistes du corps ; il lui appartient de s’habiller, et d’en jouer et de se faire belle… ce qui est, elle le souligne, la motivation principale derrière son partenariat avec l’enseigne de mode Evans. Ce mois-ci voit le lancement de sa deuxième collection pour la marque et une fois encore, elle a puisé dans tout ce qu’elle connait pour habiller son propre corps et a conçu une garde-robe que personne d’autre n’aurait pu imaginer.

Une partie de la collection est suspendue sur un portant en métal dans un coin de la chambre d’hôtel. « Je la regardais à l’instant, » dit-elle en fronçant les sourcils. « Ce sont juste des premiers jets qui n’ont pas été corrigés donc ça me dévore l’âme rien que de les regarder. Ils ne vont pas. »

Il ne s’agit pas juste d’une célébrité prêtant son nom à une petite ligne de produits marrante. Beth Dittoest sérieuse, complètement investie depuis les tous premiers croquis jusqu’aux ajustements finaux. « Il y a tellement de choses pourtant simples qui n’ont jamais été faites pour les vêtements grandes tailles. Comme d’ajouter une ceinture. Une des raisons pour lesquelles la dernière collection était tellement géniale c’est parce que tout ce que vous avez à faire, c’est ajuster la ceinture.»

C’est peut-être ironique, de fait, que Beth crédite la naissance de cette collection à la toute première brindille, Kate Moss. « Elle est la raison pour laquelle j’ai ma ligne à Evans, » dit-elle. « Parce qu’elle avait sa ligne à Topshop et elle essayait de faire que Philip Green s’investisse. Et quand je lui ai parlé d’Evans, elle a dit genre : “Finalement, deux ans plus tard.”

Apparemment, ce duo atypique est ami depuis trois ans, dès lors que Ditto est revenue sur sa déclaration selon laquelle Kate avait l’air “mortellement ennuyeuse”. Il semblerait qu’elle ait découvert que les deux avaient une cause commune. « Parce que si quelqu’un peut comprendre ce que c’est qu’être une femme sujette aux diktats corporels, c’est bien un putain de top model. »

Ditto n’irait pas jusqu’à dire qu’elles sont les meilleures amies du monde. Pour commencer, elle a du mal à l’appeler simplement Kate. « Oh, mon Dieu, je ne peux toujours pas l’appeler par son prénom, je dis genre : “Oh, Kate Moss, je ne peux pas aller là-bas…” dit-elle, se souvenant de la fois où Moss l’a traînée à une after dans la chambre d’hôtel de Grace Jones. « On n’est pas des super bonnes amies, pas parce qu’on ne s’aime pas. On évolue dans des cercles différents. Je pense qu’elle m’a beaucoup aidée en étant cette rebelle vraiment cool. Elle aime ce qu’elle aime et elle aime qui elle aime et il se trouve qu’elle est juste vraiment magnifique et douée dans ce qu’elle fait. »

Voyons les choses en face, Ditto était une recrue improbable pour le milieu de la mode. Pourtant, la voilà dans les fêtes, aux premiers rangs, parmi son ancien ennemi (une fois elle a qualifié Karl Lagerfeld de “misérable petit homme”) et de ses propres héros.

« La chose la plus cool au monde a sûrement été d’assister au défilé de Karl Lagerfeld à la Fashion Week de Paris et d’être assise juste à côté de Grace Coddlington [du journal américain Vogue]. Et je l’ai fait rire aux éclats. »

Après avoir lancé des insultes – qu’elle a depuis reconsidérées – à son égard, elle reconnaît l’illustre couturier à la tête de Chanel comme une inspiration majeure. « Je me souviens d’avoir regardé la télé quand j’étais gamine, d’avoir vu Karl Lagerfeld avec son éventail, son catogan et ses lunettes noires et de m’être demandé : “Qui c’est ça ?” Je voulais en apprendre plus. Mais le plus drôle, c’est qu’il ne s’agissait pas tant de la mode, mais plus de ce que ça signifiait d’être eux et ce que ça signifiait d’être un renégat. Karl Lagerfeld a peut-être grandi avec de l’argent, je n’en suis pas sûre, mais vous n’allez pas me dire que ça a toujours été super facile pour lui d’être cette personne excentrique extravagante et créative et ça ne l’est toujours pas puisqu’il reste jugé à longueur de temps pour être tel qu’il est. »

Elle mentionne l’argent parce que son amour de la mode est né quand elle n’en avait pas. Mary Beth Patterson a grandi dans une grande pauvreté, dans le Sud profond des grenouilles de bénitier et des mangeurs d’écureuils. Elle est issue d’une famille de sept enfants dans une maison comptant deux chambres, sans téléphone ni chaînes câblées. Les figures paternelles allaient et venaient et il était facile de se perdre dans la mêlée de cette grande famille. « Ma mère ignorait où j’étais la moitié du temps, » reconnaît-elle. « J’ai commencé à fumer à 11 ans et à avoir des relations sexuelles très jeune. » Une éducation baptiste stricte n’assagit que peu la jeune Beth, bien qu’elle ait passé la plupart de sa jeunesse à prier pour être hétéro, sachant depuis l’âge de cinq ans qu’elle n’aimait pas les garçons. À 13 ans, elle quitta la maison pour aller prendre soin d’une tante en train de mourir d’un cancer. En vérité, c’était une échappatoire. Sa mère allait se remarier et elle ne “pouvait pas supporter un autre mec de plus”. Après la mort de sa tante, elle passa son temps entre “le canapé de ses amis, la maison de sa mère et la maison de son père”, en essayant de jongler entre l’école et les petits boulots, et d’accepter son orientation sexuelle.

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