Brouillon pour un dictionnaire des amantes de Monique Wittig et Sande Zeig

Brouillon pour un dictionnaire des amantes de Monique Wittig et Sande Zeig

Titre Français : Brouillon pour un dictionnaire des amantes

Titre Original : Brouillon pour un dictionnaire des amantes

Auteur : Monique Wittig et Sande Zeig

Date de Sortie : 1976

Nationalité : Française

Genre : Essai

Nombre de Pages : 227 pages

Éditeur : Grasset

ISBN : 978-2-246-19428-8

Brouillon pour un dictionnaire des amantes : Quatrième de Couverture

« Si vous manque l’imagination de ce que peuvent être les amantes dont parle ce dictionnaire, il vous suffit d’y rechercher le terme. Les amantes sont celles qui, éprouvant un violent désir les unes pour les autres, vivent/aiment dans des peuples, suivant les vers de Sappho, « en beauté je chanterai mes amantes ». La définition que vous venez de lire est subtilement circulaire et pleinement plurielle. Littré, Larousse, Robert ne procèdent pas ainsi : lexicographes positifs, ils nous enseignent, entre autres choses positives, qu’une amante est une femme attachée à un homme par des sentiments tendres ; qu’au pluriel, le terme, dès lors nécessairement masculins (les amants), désigne un couple s’aimant d’amour réciproque.
Or les amantes de Wittig et Zeig vivent non pas en couple, mais en formation immédiatement politique (des peuples) et plurielle. Enfin, les amantes ne sont pas des femmes, et encore moins des femmes qui aiment les femmes.

Comment ça !? les amantes ne sont pas des femmes ?!

Un livre rigoureusement logique (c’est-à-dire poétique et ironique) et d’une ingéniosité délectable. »

Anne Garreta

Brouillon pour un dictionnaire des amantes : Avis Personnel

Le Brouillon pour un dictionnaire des amantes de Wittig et Zeig se présente exactement comme un dictionnaire classique, c’est-à-dire qu’il est constitué d’une succession d’articles, classés par ordre alphabétique.

Bien sûr, ce dictionnaire-ci est un peu particulier…

Il se veut l’illustration, presque le mode d’emploi, de la théorie wittigienne et, au-delà, du lesbianisme politique.

Monique Wittig reprend donc, avec le concours de sa compagne Sande Zeig, les principales thématiques de sa réflexion. On retrouve ainsi l’idée d’une hétérosexualité qui n’a rien de naturel mais qui, au contraire, est le point de départ d’une idéologie politique ; la vision d’un « monde » lesbien – celui des amantes – conçu et pensé comme une société parallèle, et parfaitement autonome.

Cependant, à la différence de La Pensée straight qui expose et développe ces thèses politiques de manière rigoureuse et scientifique, le propos est ici traité par le biais d’une « mythologie des amantes », sorte de fiction, corpus de récits et de croyances, qui constituerait le socle commun historique non seulement du cercle lesbien, mais aussi, selon la conception wittigienne, de la société en générale.

Pour prendre un exemple, Wittig part du principe qu’il n’y avait à l’origine dans le monde que des amazones. Mais un jour, des villes furent établies et un petit noyau de ce groupe se détacha et se mit à « regarder pousser son ventre » : ainsi naquit le clan des « mères » qui s’octroya le nom de « femmes » en n’y incluant pas les « amazones » qui, depuis, en sont toujours différenciées – ou comment l’auteur justifie par la fiction son fameux « les lesbiennes ne sont pas des femmes »…

Par ce traitement de la théorie politique passée au filtre du récit, le Brouillon pour un dictionnaire des amantes se rapproche de certains autres romans de Monique Wittig, notamment Le Corps lesbien ou Les Guérillères.

Il est vrai que la forme même de l’ouvrage peut déconcerter, voire même rebuter.

Le classement des articles par ordre alphabétique induit forcément une logique de lecture différente d’un récit linéaire traditionnel, et on se retrouve bien souvent à naviguer dans le livre au cours de la lecture pour trouver ailleurs la définition d’un mot employé dans un article. De plus, ce dictionnaire se veut lacunaire : vous n’y trouverez aucun mot sans rapport avec les amantes, et certains « trous » sont savamment étudiés – par exemple, la page blanche suivant le nom de Sapho donne matière à réflexion…
L’autre difficulté que l’on peut rencontrer est celle de la nouveauté de l’univers wittigien.

Laissez tomber tout ce que vous savez sur l’histoire de notre société, bienvenue chez les amazones ! D’ailleurs nombre d’articles, par leur incongruité ou leur franche ironie, prêtent largement à sourire.

Enfin, soulignons l’un des très très très grands avantages de la réédition de 2011 aux Cahiers Rouges de Grasset : la préface d’Anne Garreta.

Auteur extraordinaire et philosophe considérée comme la fille spirituelle de Wittig, elle semblait tout indiquée pour la rédaction de ce qu’elle considère elle-même comme « le brouillon d’un Supplément au Brouillon pour un dictionnaire des amantes », et elle s’en acquitte avec brio.

De sentences savoureuses en explications bien utiles, cette préface est un excellent complément au Brouillon.

À découvrir donc si vous souhaitez connaître mieux le travail d’écrivain de Wittig, respectant toujours ses convictions politiques mais dans un style bien moins théorique.

Et en ajoutant la préface… L’ensemble donne une belle page de la culture lesbienne.

Brouillon pour un dictionnaire des amantes : Extraits

Femme
[…] Depuis que les mères ont provoqué l’éclatement de l’harmonie dans le jardin terrestre elles n’ont plus voulu s’appeler des amazones. Elles se sont appelées des femmes pour désigner leur fonction spécifique, celles-qui-engendrent-d’abord-et-avant-tout. Les mères n’ont donné cette appellation de femme aux amazones qu’accolée avec un terme descriptif de façon à les différencier de ce qu’est vraiment une femme. Elles les appelaient des femmes-guerrières, des femmes-amantes, des femmes-chasseresses, des femmes-errantes. Parmi les amazones il n’y avait pas de femmes identifiées comme femmes, c’est-à-dire comme fonction, c’est-à-dire comme mères. Elles n’ont donc jamais accepté le néologisme femme. […]

Lance
Les amazones, qui ont inventé une forme de lance, en ont emprunté le modèle à l’apparence extérieure de la vulve. D’où l’expression « une vulve lancéolée ». […]

Lesbienne
Celle qui vit dans un peuple d’amantes, celle dont l’intérêt est dirigé plus que vers toute autre chose vers ses amantes, celle qui a un désir violent pour ses amantes, celle qui « ne vit pas dans le désert », qui n’est pas « perdue ».

Vous objecterez que c’est là (différence des sexes, hétérosexualité) un fait de nature, une différence indépassable, fondatrice, un truc structurant de tous les autres trucs (la culture, la psyché individuelle, la reproduction de l’humanité, la raison, le sens et même le bon sens) ; le Truc, donc, tellement infra-, super- et méta-structurant, qu’il faut d’urgence l’inscrire solennellement dans la Constitution (où, sous le nom de Parité, il s’emploie à nous faire une belle jambe…), le défendre contre tout attentat (le mariage gay), l’illustrer par tous médias et moyens (la pornographie, la publicité, la Vierge Marie…), le protéger contre tout blasphème (ô clergés, ô dévots…).
Pas de panique.

Extrait de la préface d’Anne Garreta

A propos de Julia Clieuterpe

Chroniqueuse occasionnelle

Répondre